07/01/2009
T’es vachement drôle toi ! T’as fait l’École du Rire !
Si en France cette expression annonce une ironie cassante, il n’en va pas de même au Canada, comme vous pourrez le lire en cliquant ICI. L'article de Macha SÉRY évoque ces institutions qui accueillent les apprentis comédiens, ainsi que les filières — encore rares — pour se perfectionner dans l’art difficile de faire rire.
Il y a deux passages que je souhaite reproduire ici, à cause des réponses qu’ils m’inspirent.
« On a réorienté de façon opportuniste la pédagogie vers les besoins de l'industrie, privilégiant les programmes courts et les séries de télévision », annonce Marie-Laurence BERTHON, directrice adjointe de la filiale française de Juste pour Rire (qui produit en France Laurent RUQUIER, Franck DUBOSC, Florence FORESTI…)
Les questions de fric font souvent polémique dans le petit monde de l’art, notamment le Spectacle Vivant. Malgré les protestations de certains et le silence des autres, l’art et l’argent ont partie liée, ne serait-ce que parce que les artistes doivent vivre et ont besoin d’un peu d’argent pour cela. Cependant, cela n’a jamais empêché la plupart de rester libres. (Et je m’aperçois, au moment où j’écris ces lignes, que dans « argent » il y a « art » et « gens » !)
Alors, pourquoi ce passage me dérange-t-il ? « opportuniste », « industrie », « filiale », trois mots qui me chagrinent. On savait que le cinéma est une industrie, et nous sommes vaguement convaincus qu’il ne pourrait en être autrement à cause des moyens qu’il nécessite. Mais le monde du spectacle, on le croyait à l’abri de la grande machine à produire, à cause des moyens qu’il ne nécessite pas, justement. Le Spectacle Vivant est affaire de petite structure — oui, même la Comédie Française est une petite structure, face aux géants du cinéma.
Comprenez moi bien : je ne crache pas sur la face industrielle du cinéma, au contraire, mais je m’inquiète de voir que les écoles d’art se plient à la demande du marché (comme le feront bientôt les facultés d’ailleurs). Avec de telles écoles, je crains tout simplement que les artistes de scène deviennent moins créatifs et ne nous montrent plus que des spectacles formatés ; qu’ils soient à la création ce que Mac Donald est à la cuisine. Affaire à suivre.
Le deuxième extrait évoque tout autre chose :
Jeudi 18 décembre, en préambule à son troisième cours au Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique à Paris, Guy BEDOS prévient : « Je déteste le comique sec, l'enfilade de rires. Le dogme - un mot, un rire - me donne le vertige. On n'est pas asservi à l'obligation de rigolade. Dans ce métier, on peut être émouvant. »
Photo Gamma/Serge BENHAMOU
Cet artiste nous fait part d’une conception tout à fait honorable du métier d’amuseur. Je la trouve pourtant teintée de mépris vis-à-vis des "autres", ceux qui préfèrent l’enfilade de rires. Ils sont pourtant tout aussi honorables et dignes d'intérêt.
J’affiche l’ambition de pouvoir dire un jour : « je suis comédien ! ». Vaste programme. Car ma conception du métier de comédien dit qu’il faut, en autre, être capable de travailler dans des projets très différents, pour des metteurs en scène ou des réalisateurs qui sont parfois aux antipodes les uns des autres.
Entendez bien : je ne dis pas que l’acteur doit être un simple technicien qui se contente de se plier aux souhaits et aux caprices d’un Grand Créateur ; je dis simplement que, dans ce milieu, il existe des visions différentes de l’art dramatique. Parfois, ces visions s’opposent même. Chaque metteur en scène, lorsqu’il monte un projet, propose un cadre à ses partenaires. Ce cadre est parfois très strict, très étroit, mais il laisse toujours une part de création à l’artiste qui accepte d’y entrer.
Mon ambitieux objectif me demande donc beaucoup d’humilité. Il faut accepter l’idée qu’un comédien travaille, le plus souvent, pour un projet qui n’est pas le sien, et qu’il doit faire comme s’il y adhérait à 200 %.
Faire sien le désir de création d’un autre. On se doute qu’il faut beaucoup de souplesse. C’est parfois déstabilisant, souvent contraignant, mais toujours intéressant. J’ai toujours pensé que c’est sous la contrainte que l’on crée le mieux.
Bien sûr, on se retrouve souvent à faire le contraire de ce que l’on a appris, et même quelquefois le contraire de ce que l’on aime — on aime les auteurs contemporains et on joue Molière, on privilégie l’approche psychologique et le metteur en scène vous demande de travailler sur les mots, on voudrait pleurer, on vous demande de rire…
Qu’importe, une fois l’aventure terminée, on a la fierté, l’immense fierté, de pouvoir dire : « ça, j’ai osé le faire. ». Au cinéma comme à la scène, il y a des acteurs qui resteront à jamais sublime dans tel ou tel rôle, mais qui ne déborderons jamais de leur domaine ; la réussite, c’est si confortable.
En rentrant chez moi après une répétition où un spectacle, il m’arrive de faire un détour pour croiser d’anciens camarades de scène, où des élèves qui sortent d’un cour de théâtre. Malgré ma joie de les revoir, j’ai alors un petit pincement au cœur. Premièrement parce qu’ils continuent de s’éclater sur une scène où je ne suis plus, étant moi-même en train de m’éclater ailleurs. Mais aussi parce que certains ont l’air "prisonniers". Ils ne connaissent comme horizon artistique que celui de leur unique professeur ou unique metteur en scène. Leur façon de concevoir l’art dramatique est calqué sur leur "maître".
Lorsque je travaille avec l’un ou l’autre de ces metteurs en scène, j’écoute avec la plus grande attention leurs indications, je peux dire sans exagérer que je bois leurs paroles. Mais je garde toujours en tête que, même génialissimes, même avec des argument très convaincants, ces Artistes avec un grand A détiennent une vérité, une seule parmi la multitude d'autres vérités.
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19/10/2008
Être ou ne pas être
Il y a fort longtemps, c'est-à-dire à une époque où je n’étais pas encore tombé dans le Spectacle Vivant, j’avais lu une interview consacrée à Francis LALANNE. Ce chanteur à la chevelure aussi longue que ses bottes venait de s’improviser comédien, et devait assumer le rôle titre dans le « Dom Juan » de MOLIÈRE.
Parlant de la préparation de son travail, il résumait ainsi : « MOLIÈRE a écrit ce rôle pour moi ! » ; et d’expliquer qu’il ÉTAIT Dom Juan, que ce personnage avait exactement son profil.
J’ai repensé à tout cela lorsqu’on tenta de m’apprendre à travailler un rôle. Comme beaucoup, je suis désormais convaincu qu'aucun artiste ne peut prétendre correspondre exactement à un personnage du répertoire.
Cela pour deux raisons — « dont chaque est suffisante seule » pour parler comme Cyrano.
Tout d’abord, les auteurs dramatiques ont très tôt réfléchi sur la question des personnages. Et notamment sur les fameux « caractères ». (Notons au passage qu'en anglais, « personnage » se dit « character » et a la même racine grecque que « caractère » : « signe gravé avec un poinçon » puis « empreinte », « marque ». A l’inverse, en anglais, « character » signifie aussi bien « personnage » que « rôle » ou « acteur ».) En Angleterre, en France ou en Italie, dès le XVIème siècle, on construit peu à peu des archétypes, ressemblant chacun à tout le monde en général et à personne en particulier.
Car, si on se contenta au début de définir un personnage par son seul caractère dominant, on évolua rapidement vers des personnages pourvus de plusieurs facettes, définissant un catalogue d'êtres à la fois caricaturaux et complexes.
Ensuite, lorsque Francis LALANNE nous dit « Je suis le personnage », il tue par ces mots un des grands plaisir de l'artiste, celui de partir à la découverte. En matière d’art, il ne faut pas penser à son confort : « Ça par exemple, quelque heureuse coïncidence ! je suis fait exactement comme le Marius de PAGNOL ! J’ai sa démarche, ses gestes, sa logique et les mêmes goûts que lui. Mais alors, quelle coïncidence vraiment très heureuse : je ressemble également comme deux gouttes d’eau au Platonov de TCHÉKOV ! La même folie, le même vocabulaire, les mêmes habitudes. Je n’ai rien à faire, il me suffit d’être moi-même pour jouer l'un et l'autre. »
Souvent, les journalistes qui interrogent les acteurs leur demandent quels sont leurs points communs avec les personnages qu’ils interprètent. Cette question ne me plait pas. En effet, elle laisse supposer qu’un comédien doit forcément avoir des ressemblances avec le personnage pour qu’on lui confie le rôle.
Il est vrai qu’un metteur en scène va préférer demander à une femme d’incarner une femme, et à une personne âgée de jouer une personne âgée ; mais ce n’est pas une règle d’or : dans le théâtre grec antique comme dans l'Europe de la Renaissance, beaucoup de rôle féminins étaient joués par des hommes. De plus, confier un rôle à contre-emploi peut se révéler payant par le nombre de possibilités nouvelles qui s’ouvrent, par la multiplication des voies offertes à la création.
En tout cas, un bon professeur d'art dramatique doit s'efforcer de préparer ses élèves à assumer n'importe quel rôle et toutes les situations possibles.
Cette impression d'être soi-même l'exacte copie d'un personnage vient peut-être du fait que, comme le suggère Michel BOUQUET, chaque être humain porte en lui l'ensemble des caractères humains, mais n'en développe que quelques uns. Le travail de l'acteur étant alors d'aller puiser au fond de lui ce qui s'y trouve enfoui, caché, et qu'il ne soupçonnait pas.
[Pour ne pas faire trop de peine à ses fans, je précise que le chanteur argentino-libanais avait eu, grâce à ce rôle, un prix décerné par la ville de Marseille en 1988, ainsi que 2 nominations aux « Molières » de 1996 pour L’Affrontement (" Meilleur acteur " et " Révélation de l’année ").]
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Avant de terminer cette note, je souhaite rapporter ici deux annonces de spectacle :
Le théâtre de la Semeuse présente
Le Renégat - ALBERT CAMUS
Une adaptation scénique de la nouvelle Le Renégat ou un esprit confus, extrait du recueil L’exil et le royaume (éditions Gallimard).
Mise en scène : Marie-Jeanne LAURENT
Avec : Paul LAURENT
1957, la guerre d’Algérie fait rage. Les exactions ensanglantent les deux camps ; en une sorte d’écho troublant, Camus nous propose une étrange fable sur le fanatisme religieux.
« Aller sur la mer de cailloux bruns, interminable, hurlante de chaleur, brûlante de mille miroirs hérissés de feux, jusqu’à cet endroit, à la frontière de la terre des noirs et du pays blanc, où s’élève la ville de sel… »
vendredi 24 & samedi 25 octobre à 20h30
Tarif : 6, 10 & 15 €uros
Renseignements & réservations 04 93 92 85 08
Théâtre de la Semeuse
2, montée Auguste Kerl
(Prolongement de la rue du château) 06300 NICE
Enfin, le tout nouveau Théâtre du Port fait encore appel à Stéphane EICHENHOLC, qui signe la mise en scène de
Ay Carmela !
Une pièce de José Sanchis de SINISTERRA
Paulino et Carmela, artistes de variété en tous genres parcourent la campagne pendant la guerre d'Espagne. Réquisitionnés par les Franquistes, les voilà obligés de jouer leur spectacle devant un parterre de généraux victorieux les obligeant aussi à humilier les vaincus, de jeunes républicains condamnés à mort. Pour sauver sa vie et celle de Carmela, Paulino se soumet aux ordres...
Le titre emprunte celui de la célèbre chanson des républicains espagnols et des brigades internationales, AY CARMELA ! connue aussi sous le nom EL PASO DEL EBRO.
La pièce à sa création a été joué pendant plus de deux ans, avant de tourner dans toute l'Espagne. Traduite dans plusieurs langues, elle a été représenté dans une quinzaine de pays.
AY CARMELA ! est un grand succès du théâtre espagnol de l'après franquisme. Elle a été portée à l'écran par Carlos SAURA avec Carmen MAURA dans le rôle titre .
Les 24, 25, 26 et 31 octobre et les 1er, 2, 7, 8 et 9 novembre.
Les vendredi et samedi à 20h30 et les dimanche à 16h00.
Théâtre du Port
5, place Île de Beauté (sous les arcades, à droite de l'église)
06300 NICE
Réservations & renseignements au 06 62 58 55 05 – 04 93 56 47 62
Tarif 15 €uros – Réduit 10 €uros
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26/09/2008
La vérité est en marche...
En avril de cette année, j’avais relayé sur ce blog l’information concernant le différent qui oppose toujours la nouvelle équipe municipale de CUERS à une association culturelle qui produit des spectacles, notamment du théâtre de rue (cliquez ICI, puis LÀ, pour relire les articles).
Manifestement, cette histoire n’est pas enterrée. Voici un communiqué établi par « l'Observatoire de la Liberté de Création » et par la section de Toulon de la « Ligue des Droits de l'Homme » :
Gilbert PERUGINI, nouveau maire de CUERS, s’est signalé au printemps dernier. Il a interdit dans sa ville un spectacle de rue, puis attaqué une compagnie invitée pour « dégradation de la voie publique, incitation à la désobéissance et atteinte à la République (outrage à drapeau) », puis tenté de poser des scellés sur la bibliothèque de théâtre Armand-Gatti qui abrite les locaux de la compagnie Orphéon.
Il vient de s’illustrer par un nouvel exploit. Le maire ose écrire : « Etant donné l’absence de réponse de Monsieur le Procureur de la République suite à la plainte déposée par nos soins, nous vous confirmons notre décision de suspendre jusqu’à nouvel ordre toutes les activités de votre association. » Le courrier a été remis par des policiers municipaux à la présidente de l’association Orphéon le 4 septembre.
Le travail théâtral est réputé dans toute la région PACA, mais aussi par ses pairs (elle a reçu au printemps un Prix des Écrivains associés du théâtre). La décision du maire l’informant d’avoir à cesser toute activité aurait notamment pour conséquence la fermeture d’une bibliothèque théâtrale unique, contenant plus de 9 000 volumes.
La section de Toulon de la Ligue des Droits de l’Homme et l’Observatoire de la Liberté de Création demandent solennellement à Madame le ministre de la Culture, et au préfet du Var, d’intervenir auprès de cet élu pour mettre un terme à ces voies de faits, et aux menaces, intolérables dans une démocratie, qu’il fait peser sur cette association.
Paris, le 10 septembre 2008
Ensuite, je ne résiste pas au plaisir de reproduire ici un texte signé Jacques LAURESTURE, pseudonyme protégeant un responsable culturel soumis à un certain devoir de réserve :
Monsieur le Maire, nous tenions à vous féliciter de votre courage pour avoir osé braver l’irruption artistique qui risquait d’endommager cruellement la ville de Cuers.
En effet, une artiste, Kristin, 52 ans, prétendait écrire sur les murs ou sur l’asphalte des textes dangereux, pire, poétiques. Évidemment, ils ne seraient pas restés très longtemps, la peinture disparaissant assez vite. Mais imaginez la situation sans votre valeureuse intervention : les citoyens, intrigués par des phrases incongrues, auraient fait appel à leur intelligence, à leur curiosité, à leur sensibilité. Plus grave, l’automobile, reine absolue de l’espace public, aurait perdu une part de sa suprématie. Et enfin, la publicité, qui orne si avantageusement tous les recoins de notre paysage visuel, aurait subi la concurrence d’un acte gratuit, sans but commercial, un pur objet de plaisir et d’intelligence.
On touchait là à l’essence même de notre civilisation, et votre détermination a permis d’éviter une catastrophe à côté de laquelle le 11 septembre apparaîtrait comme un fait-divers.
Avec courage, vous avez défendu le drapeau français qui risquait d’être souillé à jamais. Passons sur l’origine douteuse de ce symbole créé par des insurgés ne respectant pas la légalité de l’époque, mais comment en effet oser moquer l’oriflamme qui a si bien civilisé les Africains ou rempli les tranchés de Verdun ? Votre décision de remettre toute affaire cessante une fleur de lys dans le blason de votre ville nous remplit d’espoir.
Votre plainte devant les tribunaux est également promise à un bel avenir. Nul ne doute que les juges, n’ayant que cela à faire, vont convoquer la contrevenante en urgence. Peut-être faudrait-il exiger que cette affaire soit traitée par une juridiction anti-terroriste car, à part Al Quaïda, qui aurait planifié une attaque aussi basse de votre cité ?
Nous avons été un peu déçus par votre recul quelques jours plus tard. En effet, poursuivant votre valeureuse croisade, vous avez tenté de retirer la garde de la bibliothèque Armand Gatti (un anarchiste, soi-disant résistant et déporté) à ceux qui l’ont créé, Orphéon Théâtre Intérieur.
Vous aviez raison, les livres sont dangereux, et demandent à être mis sous bonne garde. D’autant que ces livres ne servent pas seulement à caler la commode, ou à décorer le salon, mais qu’ils sont lus, souvent par des enfants, et qu’ils parlent de théâtre, activité qui détourne des deux piliers de notre société : l’écran plasma et le caddie à remplir.
Mais nous sommes inquiets et nous craignons bien que, malgré vous, vous n’ayez apporté finalement bien de l’eau au moulin de ces irresponsables. Vos adversaires vous attaquent, soit. Mais les journaux se moquent de votre action intrépide, vos alliés politiques se taisent en public et vous maudissent en privé de se retrouver associé aux mêmes agissements qui avaient fait la gloire du Front National à Châteauvallon ou à Vitrolles.
Ces maudits Orphéon reçoivent tous les jours de nouveaux soutiens, de nombreuses villes veulent inviter la compagnie que vous avez voulu bâillonner, de plus en plus de citoyens veulent que l’art ait une place dans nos villes, et votre acte passe avant tout comme ridicule.
Confiance, la postérité sera pour vous. À l’heure où vient de s’éteindre le maire-poète Aimé Césaire (à ne pas confondre avec la sympathique Aimée Geyser, lauréate du Grand Prix de l’Eurovision 1967), vous le dépassez déjà par votre prouesse : il a passé sottement sa vie à faire parler les mots, vous avez réussi à les goudronner.
Pour l’instant, il y a beaucoup de voix qui s’élèvent pour s’indigner ; des voix, des mots, comme ceux que j’inscris ici, seulement des mots. J’attends avec impatience que tous ces discours débouchent enfin sur une solution concrète. Espérons.
« La vérité est en marche, et rien ne l’arrêtera. » (il y a des fois où l’injustice est si flagrante, tellement révoltante, que l’on en vient à se prendre pour ZOLA)
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10/08/2008
Patrimoine
Presque huit années séparent Shakespeare in Love — réalisé par John MADDEN et sorti en France en mars 1999, de Molière — comédie de Laurent TIRARD sortie en janvier 2007.
Mais il n’y a pas que le temps qui sépare ces deux œuvres, il y a surtout le choix de “ l‘angle d‘attaque ”. En effet, bien que ces films soient tous deux une fiction sur la vie d’un grand dramaturge, le résultat est fort différent, contrairement aux apparences.
Le réalisateur français a pris le parti de traiter la question des personnages. Romain DURIS incarne Molière qui se fait passer pour un certain monsieur Tartuffe, Fabrice LUCHINI joue monsieur Jourdain et Ludivine SAGNIER compose une Célimène assez peste. Aucune pièce en particulier n’est ici mise en avant, mais au contraire un florilège de scènes ou même de répliques toutes connues du grand public. En imaginant que Jean-Baptiste POQUELIN a pu s’inspirer de toutes les situations qu’il a vécues, on s’attache à l’ensemble de son œuvre.
John MADDEN, en revanche, a imaginé que c’est une relation amoureuse qui a inspiré Roméo et Juliette à son auteur. Film centré donc sur la genèse d’une seule pièce et ne comportant pas de personnages du répertoire. Jusque là, il n’y a pas de reproche à formuler, seulement des différences à pointer.
Malheureusement, malgré les louanges qui ont accompagné la sortie de Shakespeare in Love, ce film n’est qu’une comédie sympathique, sans panache et sans génie. Quel dommage : l’idée de faire parler SHAKESPEARE himself avec les répliques de sa future pièce ouvrait des pistes très intéressantes tant pour le scénario que pour le jeu des comédiens ; idem pour la fameuse « mise en abîme » : le spectateur du film voit des comédiens qui jouent le rôle de comédiens en train de répéter un spectacle.
Las, les émotions jouées par les acteurs lorsqu’ils sont sur scène sont les mêmes que lorsqu’ils jouent la “ vraie vie” ; et la panoplie d’humour, de rebondissements et de trouvailles déployés dans cette histoire sont marqués de l’empreinte d’Hollywood : des choses bien ficelées, de bonne facture, mais très formatées pour le grand public. Il n’y a pas de prise de risque et pas de signature particulière.
Le Molière de Laurent TIRARD, lui, donne vraiment l’envie de pénétrer l’âme de l’artiste, de vivre sa vie, de devenir saltimbanque à son tour. La scène où Romain DURIS/Molière imite différentes sortes de chevaux est un pur moment d’anthologie. Les sentiments exprimés par les personnages, sans édulcorant, émeuvent davantage par leur force.
Les passages amusants sont plus subtils ; un exemple : la fameuse scène de la “ Galère ” extraite des Fourberies de Scapin est ici reproduite presque intégralement ; comme dans la pièce, le vieux bourgeois se laisse extorquer 500 écus pour récupérer sa fille, qu’on lui fait croire prisonnière, otage des Turcs. Au fil des répliques, le spectateur sourit parce qu’il croit reconnaître les Fourberies de Scapin. Il pense que, comme dans la comédie de MOLIÈRE, l’argent extorqué servira les plans du héros. Mais soudain, patatras ! A peine la bourse vient-elle de se délier que la fille, censée être à bord d’une galère, apparaît avec fracas dans la maison. Le plan tombe à l’eau… et le spectateur est piégé lui aussi !
Il en est ainsi de tous les emprunts fait au texte : il sont toujours déformés, détournés, retravaillés, dédoublant ainsi le plaisir du spectateur qui s’amuse à identifier les passages qu’il a étudié au collège mais qui s’étonne également du nouvel emploi qui en est fait.
J’espère que l’on ne me taxera pas d’anti-américanisme ou bien de chauvinisme, mais examinons seulement les titres : le film français est désigné — tout comme son prédécesseur de 1978, le film d’Ariane MNOUCHKINE — par le nom seul de MOLIÈRE, alors que le film anglo-américain est affublé des mots « In Love » après le nom de SHAKESPEARE.
Les producteurs ont-ils craint que les spectateurs bouderaient un film qui raconte la vie d’un auteur de théâtre ? Fallait-il à tout prix dire que l’amour passerait par là pour attirer du monde dans les salles obscures ? Ce « In Love » est de trop, il est révélateur d’un manque confiance dans le public.
A la décharge des anglo-américains, le public français connaît peu le patrimoine classique anglais et bien mieux le patrimoine français. (Et vice-versa !) Nul doute que beaucoup de fines allusions utilisées dans Shakespeare in Love m’ont échappé. Je ne veux pas dire ici que le travail de John MADDEN est nul. Je suis simplement navré de constater qu’on identifie les deux films comme jumeaux. Non, Molière ne ressemble pas à Shakespeare in Love.
Je terminerai avec une opinion très personnelle :
l’acteur Romain DURIS me fait penser, par son talent couplé à une grande maîtrise technique, par l‘étendue de son registre, à Philippe CAUBÈRE.
Est-ce une coïncidence ? Philippe CAUBÈRE a joué le rôle titre dans le Molière d’Ariane MNOUCHKINE en 1978…
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02/08/2008
Traduction
« Bedeckt diesen Busen, ich kann seinen Anblick nicht ertragen; » Cette célèbre réplique du Tartuffe de MOLIÈRE est plus aisément reconnaissable dans sa version française d’origine : « Couvrez ce sein que je ne saurais voir ».
Je reviens d’une semaine de vacances en Forêt Noire, et j’ai entre autre ramené une édition allemande du Tartuffe, avec sa traduction française, destinée aux étudiants d’outre-Rhin qui apprennent le français.
C’est une pièce de cinq actes en vers, mais le traducteur n’a pas eu la possibilité de maintenir les rimes des alexandrins ni leurs douze pieds caractéristiques.
Je me posais depuis longtemps cette question au sujet des traductions et j’ai eu l’occasion de l’approfondir lorsque mes hôtes allemands m’ont offert cet exemplaire du Tartuffe. Car je venais de leur dire que je répète cette pièce pour la jouer (peut-être !) à l’automne prochain.
Il s’agira de la première version que MOLIÈRE avait écrite, donc une pièce en trois actes seulement. En effet, la toute première mouture que l’auteur produisit fut rapidement censurée par le pouvoir. Pourtant, des représentations furent données devant le cardinal légat du pape, devant le grand Condé et même devant Monsieur, le frère du roi. Sa Majesté devait d’ailleurs, quelques mois plus tard, nommer la troupe de MOLIÈRE troupe du roi avec une pension de 6000 livres (énorme pour l’époque). Mais malgré cela, la cabale des dévots fut la plus forte et la pièce dut être révisée par deux fois avant d’être acceptée par tous.
En réalité, beaucoup supposent que même les trois actes primitifs ont été modifiés. Sans doute quelques portraits trop précis de personnalités faisant partie de la Cabale ont été adoucis et quelques allusions à des événements récents furent supprimés. Mais le plus important, il me semble, reste l’ajout de deux actes entiers, excusez du peu, nécessaires à une modification plausible de l’histoire. Plausible… non. Même lui n’y est pas arrivé. La fin de ce Tartuffe est ridicule, béni-oui-oui, con-con. Et dire que c’est cette troisième version édulcorée que l’on édite encore aujourd’hui ; dire que des générations d’étudiants lisent sans broncher les cinq actes jusqu’à la fin. Et pire, des générations de spectateurs ont pu applaudir un Tartuffe dénaturé et compromis.
Sans doute que notre version ne pourra pas respecter intégralement le texte primitif, celui-ci ayant disparu, mais tout de même, nous rendrons à MOLIÈRE ce qui lui appartient : son courage, ses idées, son art.
Au début de l’année 1664, Jean-Baptiste POQUELIN a écrit une première version du Tartuffe. Cette version était très osée pour l’époque. Il l’a écrite quand même. Il a tenté le coup. Ensuite, a-t-il corrompu son œuvre, a-t-il vendu son âme pour permettre à sa pièce de continuer ? Ce n’est pas, à mon sens, une attitude méprisable. Tout faire plutôt que de laisser sa pièce dans les cartons.
Les gentils rebelles d’aujourd’hui diraient le contraire : ne rien lâcher, ne rien modifier, plutôt ne rien produire que de montrer une œuvre qui ne vienne pas à 100% de soit. Et Cyrano lui-même ne répond-il pas au Comte DE GUICHE : « Impossible, Monsieur ; mon sang se coagule / En pensant qu'on y peut changer une virgule. »
Cependant, je reste persuadé que, lorsqu’on a le théâtre dans le sang, on préfère se résigner à des concessions et jouer, plutôt que de rester seul avec sa fierté intacte mais avec une production égale à zéro. Notre amour-propre passe après notre amour de la scène.
Beaucoup, vraiment beaucoup d’artistes, et pas seulement au théâtre, vivent cela quotidiennement. La concession.
Il me vient en mémoire un tel désagrément qu’a vécu HERGÉ. Ceux qui ont lu On a Marché sur la Lune savent que vers la fin de l’album, l’ingénieur WOLF se sacrifie en se jetant dans l’espace, hors de la fusée lunaire, se condamnant à une mort certaine. Sur le billet d’adieu qu’il adresse au reste de l'équipage, il écrit entre autre : « … quant à moi, un miracle peut-être me permettra d’en réchapper… ». C’est aussi ridicule, béni-oui-oui et con-con que l’acte V du Tartuffe ! WOLF, comme le lecteur, sait très bien que c’est absolument impossible, qu’il n’y aura pas de miracle. Mais HERGÉ a dû céder à de multiples pressions, face à tous ceux qui pensaient qu’on ne doit pas parler de suicide dans une publication pour les jeunes, et rajouter cette phrase qu’il regrettera toute sa vie.
Je reste persuadé que MOLIÈRE a du longtemps souffrir de ce remaniement forcé de sa pièce, que lui aussi l’a regretté toute sa vie, mais qu’il a préféré cela au néant, au rien, au non-théâtre.
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Enfin, lorsque vous vous amuserez à citer ce texte, ne dites plus « « Cachez ce sein… » mais bien « Couvrez ce sein que je ne saurais voir. » COUVREZ ! Je ne sais pas pourquoi, mais tout le monde dit CACHEZ. Tartuffe est bien trop subtil pour donner un ordre ostensiblement si prude, conservateur et directif. Il sait, par son langage, arrondir les angles qui peuvent blesser. COUVREZ ! « Couvrez ce sein que je ne saurais voir… »
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22/05/2008
R. S. C. ou la tentation
Une de mes amies m’a raconté un soir que, ayant vécu Outre-Manche, elle avait eu le privilège d’assister à une représentation de Macbeth, de William SHAKESPEARE, par la Royal Shakespeare Company. Instantanément, je me suis senti comme happé dans un rêve. Presque jaloux.
La Royal Shakespeare Company, de même que la Comédie Française, est une institution qui fait rêver. Eh oui, « institution ». Interrogé au téléphone pour France-Inter, Jacques WEBER rappelait que le théâtre doit rester un lieu d’insolence avant tout. « Insolence » étant compris dans le sens de faire débat, faire parler, provoquer la réflexion — rejoignant ainsi mon idée que le théâtre est le lieu de la grande cérémonie du dialogue collectif et de l’échange. Or le mot institution peut faire penser, à juste titre, que l’insolence est domestiquée, muselée, et que la grande cérémonie deviendra impossible. Les artistes de tous bords critiquent tôt ou tard un de ces grands vaisseaux ; et cet académisme qu’ils dénoncent comme un carcan, une vieillerie poussiéreuse voire un ennemi.
Et pourtant, paradoxe supplémentaire, c’est le rêve de chacun d’entre nous de pénétrer un jour dans ces murs vénérables. (Moi-même, à une échelle bien plus modeste, j’ai autrefois accepté de jouer dans une comédie ennuyeuse et mal écrite, avec un metteur en scène incompétent et sans imagination, un rôle qui ne me plaisait pas nécessitant six mois de répétitions inutiles, le tout gratuitement, tout cela rien que pour pouvoir me dire que j’avais joué au palais Acropolis de Nice devant 750 personnes ! Recommencerais-je aujourd’hui ? C’est fort possible…)
La Royal Shakespeare Company, ce soir-là, n’a pas raté son rendez-vous avec le public. Public anglophone, cela va de soi. C’était, à en croire mon amie, extraordinaire.
Lorsqu’une telle œuvre doit traverser le Channel, de deux choses l’une : on la joue dans la langue de Shakespeare, justement, ou bien on la traduit. Dans les deux cas, est-ce que l’on y perd en qualité ? Il en est plusieurs pour m’affirmer que non ; que, si les comédiens sont talentueux, on peut parfaitement entendre un spectacle de deux heures sans savoir parler anglais ou qu’une bonne traduction, servie par ces mêmes comédiens talentueux, fera voyager tout autant. Je reste très sceptique.
Depuis quelques temps, je réalise que les sons peuvent influencer, sinon inspirer, le jeu de l’acteur. Aucun mot de la langue n’est réellement dû au hasard. Or, dans le cas d’une traduction, aussi bonne soit-elle, je me dis que ces sons originels ne peuvent être restitués. D’autre part (l’ai-je déjà dit ici ?) je pense que la culture est l’âme d’un peuple, la langue est l’âme de la culture et l’accent est l’âme de la langue. Rien n’étant anodin, tout ne peut pas être transposé dans une traduction.
« Eh bien, tu n’as qu’à choisir d’écouter la version originale » me répondrez-vous ! Là encore, c’est embêtant car, ne parlant pratiquement que le français, beaucoup d’informations vont m’échapper, malgré la musique des mots et des intonations. Une pièce de théâtre est un "matériau composite". On peut difficilement se passer d’une de ses composantes, et les informations données par le texte en font partie.
Attention, j’ai dit que je restais sceptique, mais pas fermé. Si un jour, une troupe telle que la Royal Shakespeare Company passe par ici, je crois que je succomberais à la tentation.
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15/05/2008
Y a pas d’Mai
Festins des Cougourdons, Festival du Jazz… Les jardins de Cimiez servent de lieu à beaucoup de manifestations. Celle de la Fête des Mai est-elle "typiquement" Niçoise ? Pourtant, l’origine en est éloignée, dans le temps comme dans l’espace :
à l’époque où on honorait Cybèle, la Déesse de la Terre, on allait abattre un pin qui représentait le Dieu Attis, endormi pendant les longues nuits d’hiver et réveillé par la Déesse au printemps, pour fêter le renouveau de la nature. Cybèle était honorée dans l'ensemble du monde antique. Elle est connue en Grèce dès le Ve siècle avant JC.
La légende phrygienne rapporte que Cybèle enfant fut abandonnée sur une montagne et élevée par des lions ou des léopards. Elle créa des danses et ses serviteurs, les Corybantes, célébrèrent ses rites. Disposant du don de guérison universel, Cybèle protégeait les enfants et les animaux sauvages. La déesse tombera amoureuse d'Attis qui finira par la tromper. Cybèle le rendra fou au point qu'Attis s'émasculera.
Mais ce n’est qu’une des variantes et traditions visant à expliquer notamment que les prêtres de Cybèle, les Galles, sont des eunuques. (Ils pratiquaient des rituels d'autocastration, parfois avec de simples pierres tranchantes !) Une autre affirme qu’Attis sera transformé en pin et que cet arbre lui sera consacré. Attis n'apparaît que rarement en Grèce, davantage à Rome sous l'empereur Claude et constitua l'un des plus importants cultes à mystères de l'Empire Romain. Cybèle sera identifiée par les Grecs à Rhéa, l'épouse de Cronos. On la nomme aussi Ops, Vesta, Tellus, la Bonne Déesse…
Toutes ces légendes, ces fêtes ont ensuite évolué différemment au long des siècles et selon les pays. Dans certaines parties d’Europe, le retour du printemps est encore célébré par un pin dressé sur une place. Avec la fête des Mai, le pin a été remplacé par un mât. Autrefois garnis de victuailles ou de friandises, destinés selon l’époque aux pauvres ou aux enfants, ce mât est aujourd’hui garni de fleurs. C’est donc une fête universelle accommodée à la sauce locale.
Mais le but de ce propos n’est pas de faire un cours magistral sur l’histoire des coutumes locale, j’en serai fort peu capable. Je me demandais plutôt, en voyant ces jeunes gens costumé faire la farandole autour du mât, si cela aussi était du Spectacle Vivant. On va dire que je m’ennuie au point de poser des questions là où il n’y a pas lieu d’en poser, et pourtant.
Bien sûr, ces filles et ces gars ont donné de leur temps et de leur énergie, bien sûr qu’ils l’ont fait par plaisir ; certains ont sûrement dû travailler beaucoup pour obtenir des costumes convenables, des danses entraînantes ; bref, une fête des Mai réussie. Et pourtant. Je préfère qualifier cette manifestation de « Patrimoine Vivant ». En effet, même si les protagonistes sont bel et bien vivants, il me semble qu’il ne peut pas y avoir vraiment d’acte de création. Car enfin, dans cette paire de mots « Spectacle Vivant », il me semble que Vivant désigne autant les artistes que leurs œuvres. Or, la fête des Mai offre des Spectacles qui abritent une tradition culturelle. On fait la fête aujourd’hui avec le patrimoine d’hier. Ce n’est ni meilleur ni pire, c’est différent.
Et lorsqu’il arrive de faire appel à une compagnie professionnelle pour animer ce genre de manifestation, on donne bien un cachet à des Intermittents du Spectacles, mais ce label regroupe un ensemble de métiers très différents, et n’est donc pas le gage que l’on a affaire à du Spectacle Vivant.
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