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10/08/2008

Patrimoine

Presque huit années séparent Shakespeare in Love — réalisé par John MADDEN et sorti en France en mars 1999, de Molière — comédie de Laurent TIRARD sortie en janvier 2007.
Mais il n’y a pas que le temps qui sépare ces deux œuvres, il y a surtout le choix de “ l‘angle d‘attaque ”. En effet, bien que ces films soient tous deux une fiction sur la vie d’un grand dramaturge, le résultat est fort différent, contrairement aux apparences.

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Le réalisateur français a pris le parti de traiter la question des personnages. Romain DURIS incarne Molière qui se fait passer pour un certain monsieur Tartuffe, Fabrice LUCHINI joue monsieur Jourdain et Ludivine SAGNIER compose une Célimène assez peste. Aucune pièce en particulier n’est ici mise en avant, mais au contraire un florilège de scènes ou même de répliques toutes connues du grand public. En imaginant que Jean-Baptiste POQUELIN a pu s’inspirer de toutes les situations qu’il a vécues, on s’attache à l’ensemble de son œuvre.
John MADDEN, en revanche, a imaginé que c’est une relation amoureuse qui a inspiré Roméo et Juliette à son auteur. Film centré donc sur la genèse d’une seule pièce et ne comportant pas de personnages du répertoire. Jusque là, il n’y a pas de reproche à formuler, seulement des différences à pointer.

Malheureusement, malgré les louanges qui ont accompagné la sortie de Shakespeare in Love,
ce film n’est qu’une comédie sympathique, sans panache et sans génie.
Quel dommage : l’idée de faire parler SHAKESPEARE himself avec les répliques de sa future pièce ouvrait des pistes très intéressantes tant pour le scénario que pour le jeu des comédiens ; idem pour la fameuse « mise en abîme » : le spectateur du film voit des comédiens qui jouent le rôle de comédiens en train de répéter un spectacle.

Las, les émotions jouées par les acteurs lorsqu’ils sont sur scène sont les mêmes que lorsqu’ils jouent la “ vraie vie” ; et la panoplie d’humour, de rebondissements et de trouvailles déployés dans cette histoire sont marqués de l’empreinte d’Hollywood : des choses bien ficelées, de bonne facture, mais très formatées pour le grand public. Il n’y a pas de prise de risque et pas de signature particulière.

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Le Molière de Laurent TIRARD, lui, donne vraiment l’envie de pénétrer l’âme de l’artiste, de vivre sa vie, de devenir saltimbanque à son tour. La scène où Romain DURIS/Molière imite différentes sortes de chevaux est un pur moment d’anthologie. Les sentiments exprimés par les personnages, sans édulcorant, émeuvent davantage par leur force.
Les passages amusants sont plus subtils ; un exemple : la fameuse scène de la “ Galère ” extraite des Fourberies de Scapin est ici reproduite presque intégralement ; comme dans la pièce, le vieux bourgeois se laisse extorquer 500 écus pour récupérer sa fille, qu’on lui fait croire prisonnière, otage des Turcs. Au fil des répliques, le spectateur sourit parce qu’il croit reconnaître les Fourberies de Scapin. Il pense que, comme dans la comédie de MOLIÈRE, l’argent extorqué servira les plans du héros. Mais soudain, patatras ! A peine la bourse vient-elle de se délier que la fille, censée être à bord d’une galère, apparaît avec fracas dans la maison. Le plan tombe à l’eau… et le spectateur est piégé lui aussi !
Il en est ainsi de tous les emprunts fait au texte : il sont toujours déformés, détournés, retravaillés, dédoublant ainsi le plaisir du spectateur qui s’amuse à identifier les passages qu’il a étudié au collège mais qui s’étonne également du nouvel emploi qui en est fait.

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J’espère que l’on ne me taxera pas d’anti-américanisme ou bien de chauvinisme, mais examinons seulement les titres : le film français est désigné — tout comme son prédécesseur de 1978, le film d’Ariane MNOUCHKINE — par le nom seul de MOLIÈRE, alors que le film anglo-américain est affublé des mots « In Love » après le nom de SHAKESPEARE.
Les producteurs ont-ils craint que les spectateurs bouderaient un film qui raconte la vie d’un auteur de théâtre ? Fallait-il à tout prix dire que l’amour passerait par là pour attirer du monde dans les salles obscures ? Ce « In Love » est de trop, il est révélateur d’un manque confiance dans le public.

A la décharge des anglo-américains, le public français connaît peu le patrimoine classique anglais et bien mieux le patrimoine français. (Et vice-versa !) Nul doute que beaucoup de fines allusions utilisées dans Shakespeare in Love m’ont échappé. Je ne veux pas dire ici que le travail de John MADDEN est nul. Je suis simplement navré de constater qu’on identifie les deux films comme jumeaux. Non, Molière ne ressemble pas à Shakespeare in Love.

Je terminerai avec une opinion très personnelle :

Illustre-Patrimoine-05.jpgl’acteur Romain DURIS me fait penser, par son talent couplé à une grande maîtrise technique, par l‘étendue de son registre, à Philippe CAUBÈRE.

 

Illustre-Patrimoine-06.jpgEst-ce une coïncidence ? Philippe CAUBÈRE a joué le rôle titre dans le Molière d’Ariane MNOUCHKINE en 1978…