04/08/2009
Inutile ?
Ma compagne n’est pas tout à fait d’accord avec moi. En discutant de chose et d’autre, je lui ai déclaré que « Cyrano de Bergerac » était un chef-d’œuvre.
Elle m’a répliqué que pour prétendre être un chef-d’œuvre, une pièce devait AUSSI contenir un message, en tout cas être autre chose qu’un simple badinage sur l’amour, aussi beau, aussi parfait soit-il.
Je ne sais que répondre.
Cette pièce que j’adore au point de la connaître par cœur sans jamais l’avoir apprise serait-elle un simple exercice de style ? Un peu comme un tableau qui ne serait que décoratif ?
Faut-il réellement qu’une pièce tienne un propos universel ?
« Mais non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile ! » Répliquerait Cyrano… mais c’est peut-être là le message que voulait faire passer Edmond ROSTAND.
Edmond ROSTAND, dans sa tenue d'académicien
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02/08/2008
Traduction
« Bedeckt diesen Busen, ich kann seinen Anblick nicht ertragen; » Cette célèbre réplique du Tartuffe de MOLIÈRE est plus aisément reconnaissable dans sa version française d’origine : « Couvrez ce sein que je ne saurais voir ».
Je reviens d’une semaine de vacances en Forêt Noire, et j’ai entre autre ramené une édition allemande du Tartuffe, avec sa traduction française, destinée aux étudiants d’outre-Rhin qui apprennent le français.
C’est une pièce de cinq actes en vers, mais le traducteur n’a pas eu la possibilité de maintenir les rimes des alexandrins ni leurs douze pieds caractéristiques.
Je me posais depuis longtemps cette question au sujet des traductions et j’ai eu l’occasion de l’approfondir lorsque mes hôtes allemands m’ont offert cet exemplaire du Tartuffe. Car je venais de leur dire que je répète cette pièce pour la jouer (peut-être !) à l’automne prochain.
Il s’agira de la première version que MOLIÈRE avait écrite, donc une pièce en trois actes seulement. En effet, la toute première mouture que l’auteur produisit fut rapidement censurée par le pouvoir. Pourtant, des représentations furent données devant le cardinal légat du pape, devant le grand Condé et même devant Monsieur, le frère du roi. Sa Majesté devait d’ailleurs, quelques mois plus tard, nommer la troupe de MOLIÈRE troupe du roi avec une pension de 6000 livres (énorme pour l’époque). Mais malgré cela, la cabale des dévots fut la plus forte et la pièce dut être révisée par deux fois avant d’être acceptée par tous.
En réalité, beaucoup supposent que même les trois actes primitifs ont été modifiés. Sans doute quelques portraits trop précis de personnalités faisant partie de la Cabale ont été adoucis et quelques allusions à des événements récents furent supprimés. Mais le plus important, il me semble, reste l’ajout de deux actes entiers, excusez du peu, nécessaires à une modification plausible de l’histoire. Plausible… non. Même lui n’y est pas arrivé. La fin de ce Tartuffe est ridicule, béni-oui-oui, con-con. Et dire que c’est cette troisième version édulcorée que l’on édite encore aujourd’hui ; dire que des générations d’étudiants lisent sans broncher les cinq actes jusqu’à la fin. Et pire, des générations de spectateurs ont pu applaudir un Tartuffe dénaturé et compromis.
Sans doute que notre version ne pourra pas respecter intégralement le texte primitif, celui-ci ayant disparu, mais tout de même, nous rendrons à MOLIÈRE ce qui lui appartient : son courage, ses idées, son art.
Au début de l’année 1664, Jean-Baptiste POQUELIN a écrit une première version du Tartuffe. Cette version était très osée pour l’époque. Il l’a écrite quand même. Il a tenté le coup. Ensuite, a-t-il corrompu son œuvre, a-t-il vendu son âme pour permettre à sa pièce de continuer ? Ce n’est pas, à mon sens, une attitude méprisable. Tout faire plutôt que de laisser sa pièce dans les cartons.
Les gentils rebelles d’aujourd’hui diraient le contraire : ne rien lâcher, ne rien modifier, plutôt ne rien produire que de montrer une œuvre qui ne vienne pas à 100% de soit. Et Cyrano lui-même ne répond-il pas au Comte DE GUICHE : « Impossible, Monsieur ; mon sang se coagule / En pensant qu'on y peut changer une virgule. »
Cependant, je reste persuadé que, lorsqu’on a le théâtre dans le sang, on préfère se résigner à des concessions et jouer, plutôt que de rester seul avec sa fierté intacte mais avec une production égale à zéro. Notre amour-propre passe après notre amour de la scène.
Beaucoup, vraiment beaucoup d’artistes, et pas seulement au théâtre, vivent cela quotidiennement. La concession.
Il me vient en mémoire un tel désagrément qu’a vécu HERGÉ. Ceux qui ont lu On a Marché sur la Lune savent que vers la fin de l’album, l’ingénieur WOLF se sacrifie en se jetant dans l’espace, hors de la fusée lunaire, se condamnant à une mort certaine. Sur le billet d’adieu qu’il adresse au reste de l'équipage, il écrit entre autre : « … quant à moi, un miracle peut-être me permettra d’en réchapper… ». C’est aussi ridicule, béni-oui-oui et con-con que l’acte V du Tartuffe ! WOLF, comme le lecteur, sait très bien que c’est absolument impossible, qu’il n’y aura pas de miracle. Mais HERGÉ a dû céder à de multiples pressions, face à tous ceux qui pensaient qu’on ne doit pas parler de suicide dans une publication pour les jeunes, et rajouter cette phrase qu’il regrettera toute sa vie.
Je reste persuadé que MOLIÈRE a du longtemps souffrir de ce remaniement forcé de sa pièce, que lui aussi l’a regretté toute sa vie, mais qu’il a préféré cela au néant, au rien, au non-théâtre.
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Enfin, lorsque vous vous amuserez à citer ce texte, ne dites plus « « Cachez ce sein… » mais bien « Couvrez ce sein que je ne saurais voir. » COUVREZ ! Je ne sais pas pourquoi, mais tout le monde dit CACHEZ. Tartuffe est bien trop subtil pour donner un ordre ostensiblement si prude, conservateur et directif. Il sait, par son langage, arrondir les angles qui peuvent blesser. COUVREZ ! « Couvrez ce sein que je ne saurais voir… »
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28/01/2007
B r è v e s
Je viens de me rendre compte que je suis devenu superstitieux... Comme tous ceux qui doivent monter sur les planches. Même si certains ne le reconnaîtront jamais, car s’imaginant ne pas l’être. Chacun est superstitieux à sa façon : cérémonial pour se mettre en condition (« allez, ça va commencer, on se tient tous les mains ! » ; déviance de ce qui est à l’origine un simple et nécessaire training d’acteur), alimentation (« la salade, ça fait bafouiller… » ; c’est sûr qu’il ne faut pas manger une daube-raviolis juste avant de grimper sur scène), accessoire (« putain, ce soir, j’ai pas la même chemise, je vais être mauvais ! » ; autrefois, on prétendait que le vert sur un costume portait malheur), partenaire (« ce soir, tu m’as pas regardé lorsque j’ai dit "phylactère", et du coup j’ai eu un blanc tu comprends ? ») et, pour ce qui me concerne, même la façon dont j’ai garé ma voiture (« je suis garé super près ! La chance est avec moi ! »
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« CYRANO
Ragueneau ne pleure pas si fort ! ...
(il lui tend la main.)
Qu’est-ce que tu deviens, maintenant, mon confrère ?
RAGUENEAU, à travers ses larmes.
Je suis moucheur de... de... chandelles, chez Molière.
CYRANO
Molière !
RAGUENEAU
Mais je veux le quitter, dès demain ;
oui, je suis indigné ! … Hier, on jouait Scapin,
et j’ai vu qu’il vous a pris une scène !
LE BRET
entière !
RAGUENEAU
Oui, monsieur, le fameux : " que diable allait-il faire ? ... "
LE BRET
Molière te l'a pris !
CYRANO
Chut ! Chut ! Il a bien fait ! ...
(à Ragueneau.)
La scène, n’est-ce pas, produit beaucoup d’effet ?
RAGUENEAU, sanglotant.
Ah ! Monsieur, on riait ! On riait !
CYRANO
Oui, ma vie
ce fut d’être celui qui souffle - et qu’on oublie !
(à Roxane.)
Vous souvient-il du soir où Christian vous parla
sous le balcon ? Eh bien ! Toute ma vie est là :
pendant que je restais en bas, dans l'ombre noire,
d'autres montaient cueillir le baiser de la gloire !
C’est justice, et j'approuve au seuil de mon tombeau :
Molière a du génie et Christian était beau ! »
En effet, MOLIÈRE, comme beaucoup d’autres à son époque et même certains aujourd’hui, empruntait des scènes à d’autres créateurs afin de les inclure dans ses œuvres, après les avoir bien sûr remaniées. Le résultat était souvent meilleur que l’original, et ce n’est pas sans raison qu’Edmond ROSTAND, lui-même formidable écrivain dramatique, fait dire à Cyrano que MOLIÈRE avait du génie.
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En relisant « Hamlet », de William SHAKESPEARE, je suis tombé sur le passage suivant :
« HAMLET – Rendez ce discours […] comme je l’ai prononcé devant vous, d’un ton facile et naturel ; mais si vous le déclamez avec emphase, comme font la plupart de nos acteurs, j’aimerais autant avoir mis mes vers dans la bouche d’un crieur de la ville. […] Oh ! rien ne me blesse l’âme, comme d’entendre un Stentor en perruque, aux robustes poumons, déchirer une passion en éclats, qu’il vomit aux oreilles d’un parterre ignare et frondant, dont la plupart ne veulent que du bruit, et ne sont capables de sentir autre chose que des pantomimes ridicules et inexplicables. […] que votre intelligence vous serve de guide… »
Cette pièce a été écrite entre 1598 et 1602. Comme après lui Auguste STRINDBERG dans ses préfaces, certains grands auteurs avaient, bien avant les autres, perçu l’importance de la vérité du jeu. Bien avant l’arrivée de STANISLAVSKI et de ses conseils éclairés sur « la Formation de l’Acteur », SHAKESPEARE nous montre ici l’avance qu’il avait sur son époque.
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« L'acteur doit se vider de lui-même, c'est son premier travail, et le plus important. » C’est un grand comédien qui a dit ça, et il n’a pas tort. Je vous dirai de qui il s’agit lors de la prochaine note… A moins que vous ne trouviez avant !
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