19/10/2008
Être ou ne pas être
Il y a fort longtemps, c'est-à-dire à une époque où je n’étais pas encore tombé dans le Spectacle Vivant, j’avais lu une interview consacrée à Francis LALANNE. Ce chanteur à la chevelure aussi longue que ses bottes venait de s’improviser comédien, et devait assumer le rôle titre dans le « Dom Juan » de MOLIÈRE.
Parlant de la préparation de son travail, il résumait ainsi : « MOLIÈRE a écrit ce rôle pour moi ! » ; et d’expliquer qu’il ÉTAIT Dom Juan, que ce personnage avait exactement son profil.
J’ai repensé à tout cela lorsqu’on tenta de m’apprendre à travailler un rôle. Comme beaucoup, je suis désormais convaincu qu'aucun artiste ne peut prétendre correspondre exactement à un personnage du répertoire.
Cela pour deux raisons — « dont chaque est suffisante seule » pour parler comme Cyrano.
Tout d’abord, les auteurs dramatiques ont très tôt réfléchi sur la question des personnages. Et notamment sur les fameux « caractères ». (Notons au passage qu'en anglais, « personnage » se dit « character » et a la même racine grecque que « caractère » : « signe gravé avec un poinçon » puis « empreinte », « marque ». A l’inverse, en anglais, « character » signifie aussi bien « personnage » que « rôle » ou « acteur ».) En Angleterre, en France ou en Italie, dès le XVIème siècle, on construit peu à peu des archétypes, ressemblant chacun à tout le monde en général et à personne en particulier.
Car, si on se contenta au début de définir un personnage par son seul caractère dominant, on évolua rapidement vers des personnages pourvus de plusieurs facettes, définissant un catalogue d'êtres à la fois caricaturaux et complexes.
Ensuite, lorsque Francis LALANNE nous dit « Je suis le personnage », il tue par ces mots un des grands plaisir de l'artiste, celui de partir à la découverte. En matière d’art, il ne faut pas penser à son confort : « Ça par exemple, quelque heureuse coïncidence ! je suis fait exactement comme le Marius de PAGNOL ! J’ai sa démarche, ses gestes, sa logique et les mêmes goûts que lui. Mais alors, quelle coïncidence vraiment très heureuse : je ressemble également comme deux gouttes d’eau au Platonov de TCHÉKOV ! La même folie, le même vocabulaire, les mêmes habitudes. Je n’ai rien à faire, il me suffit d’être moi-même pour jouer l'un et l'autre. »
Souvent, les journalistes qui interrogent les acteurs leur demandent quels sont leurs points communs avec les personnages qu’ils interprètent. Cette question ne me plait pas. En effet, elle laisse supposer qu’un comédien doit forcément avoir des ressemblances avec le personnage pour qu’on lui confie le rôle.
Il est vrai qu’un metteur en scène va préférer demander à une femme d’incarner une femme, et à une personne âgée de jouer une personne âgée ; mais ce n’est pas une règle d’or : dans le théâtre grec antique comme dans l'Europe de la Renaissance, beaucoup de rôle féminins étaient joués par des hommes. De plus, confier un rôle à contre-emploi peut se révéler payant par le nombre de possibilités nouvelles qui s’ouvrent, par la multiplication des voies offertes à la création.
En tout cas, un bon professeur d'art dramatique doit s'efforcer de préparer ses élèves à assumer n'importe quel rôle et toutes les situations possibles.
Cette impression d'être soi-même l'exacte copie d'un personnage vient peut-être du fait que, comme le suggère Michel BOUQUET, chaque être humain porte en lui l'ensemble des caractères humains, mais n'en développe que quelques uns. Le travail de l'acteur étant alors d'aller puiser au fond de lui ce qui s'y trouve enfoui, caché, et qu'il ne soupçonnait pas.
[Pour ne pas faire trop de peine à ses fans, je précise que le chanteur argentino-libanais avait eu, grâce à ce rôle, un prix décerné par la ville de Marseille en 1988, ainsi que 2 nominations aux « Molières » de 1996 pour L’Affrontement (" Meilleur acteur " et " Révélation de l’année ").]
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Avant de terminer cette note, je souhaite rapporter ici deux annonces de spectacle :
Le théâtre de la Semeuse présente
Le Renégat - ALBERT CAMUS
Une adaptation scénique de la nouvelle Le Renégat ou un esprit confus, extrait du recueil L’exil et le royaume (éditions Gallimard).
Mise en scène : Marie-Jeanne LAURENT
Avec : Paul LAURENT
1957, la guerre d’Algérie fait rage. Les exactions ensanglantent les deux camps ; en une sorte d’écho troublant, Camus nous propose une étrange fable sur le fanatisme religieux.
« Aller sur la mer de cailloux bruns, interminable, hurlante de chaleur, brûlante de mille miroirs hérissés de feux, jusqu’à cet endroit, à la frontière de la terre des noirs et du pays blanc, où s’élève la ville de sel… »
vendredi 24 & samedi 25 octobre à 20h30
Tarif : 6, 10 & 15 €uros
Renseignements & réservations 04 93 92 85 08
Théâtre de la Semeuse
2, montée Auguste Kerl
(Prolongement de la rue du château) 06300 NICE
Enfin, le tout nouveau Théâtre du Port fait encore appel à Stéphane EICHENHOLC, qui signe la mise en scène de
Ay Carmela !
Une pièce de José Sanchis de SINISTERRA
Paulino et Carmela, artistes de variété en tous genres parcourent la campagne pendant la guerre d'Espagne. Réquisitionnés par les Franquistes, les voilà obligés de jouer leur spectacle devant un parterre de généraux victorieux les obligeant aussi à humilier les vaincus, de jeunes républicains condamnés à mort. Pour sauver sa vie et celle de Carmela, Paulino se soumet aux ordres...
Le titre emprunte celui de la célèbre chanson des républicains espagnols et des brigades internationales, AY CARMELA ! connue aussi sous le nom EL PASO DEL EBRO.
La pièce à sa création a été joué pendant plus de deux ans, avant de tourner dans toute l'Espagne. Traduite dans plusieurs langues, elle a été représenté dans une quinzaine de pays.
AY CARMELA ! est un grand succès du théâtre espagnol de l'après franquisme. Elle a été portée à l'écran par Carlos SAURA avec Carmen MAURA dans le rôle titre .
Les 24, 25, 26 et 31 octobre et les 1er, 2, 7, 8 et 9 novembre.
Les vendredi et samedi à 20h30 et les dimanche à 16h00.
Théâtre du Port
5, place Île de Beauté (sous les arcades, à droite de l'église)
06300 NICE
Réservations & renseignements au 06 62 58 55 05 – 04 93 56 47 62
Tarif 15 €uros – Réduit 10 €uros
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29/02/2008
Le travail d’acteur
Il y a quelques semaines, je lisais une interview consacrée à Johnny DEPP. Je souhaite citer ici deux passages parmi les quelques réponses qu’il avait bien voulu fournir :
« … Le plus difficile, c’était de mettre de la mousse à raser sur les visages et de faire semblant de les raser. C’est très désagréable de raser un adulte. Mais là non plus, je n’ai pas suivi de préparation spécifique ni d’entraînement particulier. Est-ce que l’on va prendre des cours de crime avant de jouer un criminel ?... »
Cette réflexion me plait. En effet, un comédien professionnel est censé pouvoir jouer (et non pas « faire semblant » !) n’importe quelle situation sans avoir à s’entraîner avec toute une batterie de moyens. Je n’aime guère ces artistes qui racontent volontiers leurs longues journées passées dans un commissariat, pour essayer de coller le plus possible à la réalité d’un personnage flic qu’ils doivent jouer. La réalité exacte et factuelle, retranscrite avec une minutie laborieuse, est rarement utile. La seule réalité importante est celle de l’artiste. Et à trop vouloir faire vrai, on ennui tout le monde, le public s’en va. Bien sûr, ce n’est pas une raison pour camper des personnages improbables à force d’invraisemblance, mais je crois que Johnny DEPP fera un bon barbier tout à fait convaincant sans avoir passé le moindre diplôme de raseur.
Sur ce sujet, mon ami Vincent JOURDAN (oui, de REGARD-Indépendant, en lien ICI), me citait l’anecdote suivante : Laurence OLIVIER voit Dustin HOFFMAN quitter le lieu du tournage pour aller faire trois tours de pâté de maisons en courant. Une fois de retour, on demande à l’acteur légèrement essoufflé quelle mouche l’a donc piqué. Il répond que, dans la scène qui va être tournée dans un instant, il doit être essoufflé. Et Laurence OLIVIER lui répond alors : « Mais vous ne pouviez pas simplement le JOUER ? »
Le deuxième extrait que je retiens est plus douteux :
« … Il ne faut pas avoir peur de s’enlaidir. Tous les gens que j’admire dans mon métier sont des acteurs de composition. Après tout, c’est notre rôle de se cacher dans des personnages extravagants et de se déguiser avec des accoutrements fantaisistes… »
En effet, point de coquetterie lorsqu’on est comédien. Là-dessus, je suis entièrement d’accord (encore que j’ai rarement vu Johnny DEPP particulièrement enlaidit par ses déguisement). La fin de sa réponse me paraît en revanche réductrice. Donner vie à un personnage n’est pas forcément synonyme de déguisement. J’irai même jusqu'à dire que cela va en contradiction avec ce qu’il a dit dans le premier extrait. Car on peut très bien être barbier et ne pas se promener dans la rue avec un bol de savon, être policier et être en civil etc.
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Avec l’annonce suivante, nous revenons à la scène :
La Cie Le Théâtre du Fou propose
« Arlequin Serviteur de deux Maîtres »
De Carlo GOLDONI
Mise en scène : Bernard DORÉ
Avec : Christine BIAGINI, Sabrina BREZZO, Bernard DORÉ, Robert DUVAL, Frédérique FERRIÉ, Marjorie COURBET et dans le rôle-titre Arnault SOULABAILLE.
Durée du spectacle : 2h00
"Arlequin travaille pour un maître qui le laisse affamé. Aussi, a-t-il l'idée de se mettre sous les ordres d'un second maître, sans qu'aucun des deux n'en soit averti. Mais, n'a-t-il pas trop préjugé de sa débrouillardise ?"
Cette pièce a été écrite par GOLDONI, auteur Italien né à Venise en 1707 (mais mort à Paris en 1793, car il s’exila en France à la suite de désaccords avec d’autres confrères)
Comme Molière avant lui, il reprend les codes de la Commedia Dell’Arte non pas avec un canevas éternellement renouvelé mais avec un texte réellement construit, et un plus grand réalisme.
Ce spectacle sera joué à l’Espace Magnan
31, rue Louis de Coppet
NICE (Nice-Ouest, proche de la piscine "Jean Médecin")
Du 28/02/2008 au 09/03/2008 : les jeudi, vendredi et samedi à 21h00 et les dimanche à 15h00
Salle Jean Vigo
Tarif Normal : 15 € - Tarif Réduit : 10 €
La Cie Le Théâtre du Fou a été crée en 1989 par Bernard DORÉ, comédien et metteur en scène.
Elle réside à l’Espace Magnan, où elle a monté une trentaine de pièces.
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