05/02/2010
Qui a dit ?
Oui, qui a dit...
« Regardons la scène, et projetons-y les initiales de Jésus-Christ, nous saurons où est le côté Jardin et le côté Cour. »
Cette façon de désigner les deux côtés de la scène est à mettre en parallèle avec les Bâbord et Tribord employés par les marins, plus pratique pour désigner un côté ou un autre du navire que la gauche ou la droite, qui varie suivant où l’on se trouve.
Cela n’a rien d’étonnant quand on sait qu’avec l’apparition des premiers grands théâtres dits "à l’italienne", sont réapparues ces grandes machines, destinées à créer des effets spectaculaires et aussi plus simplement à manipuler les rideaux et les lustres.
On a d’abord fait appel, pour manier toutes ces structures, à d’anciens marins. En effet, piloter la machinerie théâtrale demandait une certaine habitude à grimper très haut pour travailler en équilibre sur des poutres en bois et à utiliser des cordages.
Depuis, certaines coutumes et certains mots propres à la marine sont restés, comme cette superstition qui interdit de prononcer le mot « corde ».
Pour les mots Cour et Jardin précisément, ils ont été choisis en 1770, lorsque la Comédie-Française s’est installée aux Tuileries dans la "salle des Machines", c'est-à-dire le théâtre, en attendant de pouvoir être relogée ; un côté donnait effectivement sur les jardins des Tuileries et l’autre sur la cour du Carrousel.
à La formule est de Paul CLAUDEL.
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À propos de la simplicité de l’action dans une tragédie : « Il n’y a que le vraisemblable qui touche dans la tragédie. Et quelle vraisemblance y a-t-il qu’il arrive en un jour une multitude de choses qui pourraient à peine arriver en plusieurs semaines ? Il y en a qui pensent que cette simplicité est une marque de peu d’invention […] au contraire, toute l’invention consiste à faire quelque chose de rien. »
Bien sûr, cette obsession de la règle des trois unités — temps, lieu et action — n’est plus d’actualité, et il peut désormais arriver « une multitude de choses », on dira que l’histoire se déroule sur plusieurs mois ou années.
Peu importe, chacun peut reprendre à son compte cette quasi-maxime qu’a écrite Jean RACINE dans sa préface de Bérénice (1671). Certains metteurs en scènes, notamment, auraient parfois besoin de s’en souvenir, plutôt que de faire de l’esbroufe à grand coup de finances publiques.
Je ne dis pas « vive les mises en scènes minimalistes », je dis « vive les mises en scènes où il n’y a rien de superflu ».
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« Rien de plus futile, de plus faux, de plus vain, rien de plus nécessaire que le théâtre. »
Ici, je n’ai pas grand-chose à rajouter, si ce n’est qu’il est encore plus faux, encore plus vain et encore moins nécessaire de vouloir demander au théâtre d’être « rentable » ou bien d’obtenir des « résultats ».
à Grand merci, donc, à Louis JOUVET de nous avoir laissé cette phrase.
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Avant de terminer ce billet, je souhaite vous indiquer le lien vers un site consacré aux Tuileries, et qui ravira les amateurs d’Histoire et d’Art (cliquez ICI.)
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17/12/2009
confidences
Un petit jeu qui tourne en ce moment chez les blogueurs que je fréquente, et notamment chez mon ami Christian : il s’agit simplement d’énoncer sept confidences, dont une seule sera fausse. Charge aux lecteurs de deviner parmi les sept laquelle a été inventée.
Je me rajoute une contrainte supplémentaire : les sept confidences se rapportent au monde du spectacle. C’est parti, musique maestro… ♫
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- Je me suis produit à l’étranger ;
- J’ai dansé entièrement nu sur scène ;
- J’ai été applaudit par Jacques WEBER ;
- J’ai joué à Acropolis ;
- Julien BERTHEAU m’a personnellement écrit une lettre dans laquelle il m’encourageait à persévérer dans le théâtre ;
- J’ai embrassé un garçon ;
- J’ai appris un rôle très long en quatre jours.
J’aurais pu en rajouter une 8ème : « J’ai interviewé Jean FRANVAL », mais les premiers lecteurs de ce blog se rappellent peut-être avoir lu l’article le concernant…
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09/07/2009
C’est l’effet papilloooooon…
Jean-Paul SARTRE expliquait un jour : « … Quand on écrit une pièce, il y a toujours des causes occasionnelles et des soucis profonds. La cause occasionnelle c'est que, au moment où j'ai écrit Huis clos, vers 1943 et début 44, j'avais trois amis et je voulais qu'ils jouent une pièce, une pièce de moi, sans avantager aucun d'eux. C'est-à-dire, je voulais qu'ils restent ensemble tout le temps sur la scène. Parce que je me disais que s'il y en a un qui s'en va, il pensera que les autres ont un meilleur rôle au moment où il s'en va. Je voulais donc les garder ensemble. Et je me suis dit, comment peut-on mettre ensemble trois personnes sans jamais en faire sortir l'une d'elles et les garder sur la scène jusqu'au bout, comme pour l'éternité. C'est là que m'est venue l'idée de les mettre en enfer et de les faire chacun le bourreau des deux autres. Telle est la cause occasionnelle. Par la suite, d'ailleurs, je dois dire, ces trois amis n'ont pas joué la pièce, et comme vous le savez, c'est Michel VITOLD, Tania BALACHOVA et Gaby SYLVIA qui l'ont jouée… »
En effet, petites causes et grands effets. Il faut reconnaître que même les grands écrivains et metteurs en scène rencontrent parfois des difficultés purement matérielles qui conditionnent la suite de leur projet : le lieu choisi pour la création du spectacle ; le manque de finance ; parfois un événement qui survient dans le cadre privé ; mais aussi, comme on l’a vu, une volonté de la part de l’écrivain de satisfaire un désir tout personnel…
Tout cela peut exercer des contraintes même chez ceux que l’on croyait à l’abri, de par leur statut. Comme j’ai l’habitude de dire ici que la contrainte est source de création, je me demande si la contrainte "volontaire" est aussi efficace.
L’écrivain Georges PÉREC employait de tels procédés et, dans la plupart de ses romans, se fixait délibérément une ou plusieurs obligations. Il y a bien sur La Disparition, roman de plus de 200 pages ne contenant aucune lettre E (!), et bien d’autres opus, tout aussi étonnants, qui me laissent penser que la contrainte, décidément, et un excellent moteur de création artistique.
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03/05/2009
Les bons plans
Depuis toutes ces années passées à côtoyer le Spectacle Vivant, je me suis parfois retrouvé dans des "bons plans". Je me souviens notamment d'une escapade aussi soudaine qu'inattendue :
Au début de la saison 1999-2000, vers la fin du mois de septembre, le père d'une de mes amies appela sa fille à la rescousse. Il était alors conseiller municipal de la ville de Cuneo, dans le Piémont, en Italie. Son équipe était en train de mettre sur pied le premier festival transalpin du livre de Cuneo. Il avait été prévu, entre autres, des animations assurées par une compagnie locale.
Celle-ci s'était désistée au dernier moment. Le conseiller municipal, sachant que sa fille s'intéressait de près au théâtre, lui avait alors demandé de recruter ses connaissances pour assurer au pied levé les animations prévues.
C'est ainsi que je me retrouvais dans un groupe de cinq personnes, avec seulement trois jours devant nous pour préparer un travail soigné. Il y avait plusieurs tâches à prévoir, dont une improvisation menée sous le chapiteau principal, et qui consistait en un débat entre de faux écrivains. (Le public n'avait pas été averti, il devait se rendre compte lui-même de la supercherie au fur et à mesure que le débat prenait un ton surréaliste et burlesque.)
Puis, le samedi soir, nous fumes conviés au Théâtre Municipal Giovanni Toselli, magnifique théâtre à l'italienne (avec les étages de balcons en demi-cercle, le parterre, la décoration rouge et or...) Il s'agissait pour nous d'interpréter les textes d'auteurs absents, ou bien ne souhaitant pas le faire eux-mêmes, le tout devant une assemblée d'écrivains italiens et français.
L'un des textes qu'on nous avait donné à interpréter (trois jours plus tôt) était parfaitement incompréhensible, ou du moins n'évoquait rien pour nous, sinon qu'il semblait parler de l'artiste devant sa feuille blanche.
Nous étions donc là, ce samedi soir, derrière le rideau, au milieu des techniciens et habillés de notre plus beau costume. En effet, notre amie nous avait prévenu, à Cuneo on a l'esprit un peu bourgeois : hors de question de monter sur une scène ou même un podium sans être vêtu correctement. Tailleur donc pour les filles et pour les hommes, costume-cravate. Oui mais voilà, ce n'était pas encore assez, et arrivé devant l'entrée du théâtre, on me fit remarquer que mon costume était clair, et qu'il fallait un costume sombre. Plus le temps d'en trouver un de rechange.
Comme le disait Jean COCTEAU, « Puisque ces mystères me dépassent, feignons d’en être l’organisateur. » Nous primes le parti de partager le texte en deux moments : celui où l'écrivain pensait, et celui où l'écrivain... écrivait. Lorsqu'il pensait, je disais le texte, en voix off, caché dans les coulisses ; et lorsqu'il écrivait, mes camarades restés sur la scène, prenaient le relais.
Moi, petit comédien débutant, invité à jouer en Italie dans le cadre d'un festival, dans un magnifique théâtre d'une commune de près de 60 000 habitants, et ne pouvant absolument pas me montrer, même pour les saluts ! C'était quelque chose de frustrant mais en même temps tellement féérique. J'eus malgré tout ma récompense car, dans les couloir, alors que j'essayais de participer aux conversations (en italien, le plus souvent) les spectateurs qui entendaient ma voix la reconnaissaient et me serraient chaleureusement la main pour me féliciter.
Pour terminer ce récit, je tiens simplement à renouveler ma gratitude envers tout le personnel du Théâtre Municipal Giovanni Toselli pour son accueil et son aide, ainsi qu'à la ville de Cuneo qui nous a reçu comme des princes. Ces remerciements sont un peu tardifs mais très sincères.
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23/04/2009
C'est pernicieux !
C’est malsain le théâtre, si l’on n’y prend pas garde.
Tenez, il y a seulement quelques semaines, une compagnie produisait « Un Grand Cri d’Amour », de Josiane BALASKO, dans une salle de la région. Il y a deux ans, nous avions également monté cette pièce au Théâtre du Cours. J’ai immédiatement pensé assister à ce spectacle uniquement pour voir s’ils feraient mieux que nous !
Non pas pour essayer d’apprendre en regardant faire les autres, non pas pour essayer de découvrir de nouvelles pistes ; non, seulement pour me comparer, pour vérifier que les autres sont moins bons que moi. Le CON…
Je n’y suis pas allé.
Lorsque je regarde jouer un bon comédien dans un spectacle de qualité, je me dis parfois que ce que je fais n’en est pas loin, que je me sens parfaitement capable de faire la même chose.
Puis je me rends compte que ce n’est qu’une apparence, c’est en réalité tout le travail en amont des artistes qui donne cette illusion que tout coule de source. C’est même un bon signe : quand tout le monde pense pouvoir faire pareil et que tout paraît facile, cela démontre souvent une très grande maîtrise et un talent certain de la part des comédiens et metteur en scène.
Mais pourquoi est-ce que je me pose toujours ce genre de question, alors même que je déteste la compétition !
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03/07/2008
Anecdotes
« … Quand on écrit une pièce, il y a toujours des causes occasionnelles et des soucis profonds. La cause occasionnelle c'est que, au moment où j'ai écrit « Huis Clos », vers 1943 et début 44, j'avais trois amis et je voulais qu'ils jouent une pièce, une pièce de moi, sans avantager aucun d'eux. C'est-à-dire, je voulais qu'ils restent ensemble tout le temps sur la scène. Parce que je me disais que s'il y en a un qui s'en va, il pensera que les autres ont un meilleur rôle au moment où il s'en va. Je voulais donc les garder ensemble. Et je me suis dit, comment peut-on mettre ensemble trois personnes sans jamais en faire sortir l'une d'elles et les garder sur la scène jusqu'au bout, comme pour l'éternité. C'est là que m'est venue l'idée de les mettre en enfer et de les faire chacun le bourreau des deux autres. Telle est la cause occasionnelle. Par la suite, d'ailleurs, je dois dire, ces trois amis n'ont pas joué la pièce, et comme vous le savez, c'est Michel VITOLD, Tania BALACHOVA et Gaby SYLVIA qui l'ont jouée… »
On ne parlera pas ici des « soucis profonds » de Jean-Paul SARTRE, même si on se doute qu’il s’agit de l'absurdité de nos existences et de la force qu’il faut pour se révolter, pour continuer…
L’auteur de « la Putain Respectueuse » et des « Mains Sales » illustre bien ici ce phénomène paradoxal en apparence. Entre le moment où l’artiste envisage de créer une œuvre et le moment où il pourra commencer sa réalisation, plusieurs années peuvent s’écouler, à attendre ce petit rien qui servira de déclencheur. Un écrivain croisé au hasard d’une rue ; une participation dans un festival ou une opération caritative ; une salle qui se libère ; l’appel au secours d’un confrère ou bien même un échec précédent dont on a gardé le travail, la "matière", et qui devient le point de départ d’un nouveau projet. Et même si, souvent, c’est une idée forte, un besoin d’exprimer un sentiment profond qui est à l’origine d’une œuvre dramatique, il aura fallut attendre que le hasard nous tende la main. Il est toujours difficile (même lorsqu’on est connu) de monter une création. Et la futilité du déclic ne préjuge en rien de la valeur d’un spectacle.
Je me souviens qu’il y a une douzaine d’années, le père d’une amie, italienne d’origine, avait appelé sa fille à la rescousse. Conseiller municipal de CUNEO, il avait dirigé la création d’un festival du livre, en octobre. Mais la troupe de comédien qui était censée assurer les différentes animations à travers la ville durant toute la manifestation avait fait faux bond, à seulement une semaine du début.
Mon amie, élève comme moi au même cours de théâtre, avait à son tour battu le rappel des volontaires pour une aventure en Italie. C’est ainsi je que je me retrouvais, avec quatre autres amis, entassé dans une voiture trop petite pour cinq et filant vers CUNEO. Nous n’avions qu’une idée approximative de ce qui nous attendait. Nous avions quand même pu préparer une animation prévue sous le chapiteau principal (un pastiche de débat entre professionnels du livre, qui s’est fort bien déroulé).
Nous nous sommes ensuite retrouvés dans le théâtre municipal de la commune. Quelques heures plus tôt, on nous avait annoncé qu’il faudrait lire des textes devant un parterre de professionnels. C’était un festival « transalpin", il y avait donc des œuvres écrites en français, mais dont les auteurs n’avaient pu faire le déplacement pour défendre ici leur production. On nous demandait donc de le faire à leur place.
Un problème toutefois : le texte le plus long était très abstrait. Son créateur n’étant pas là pour nous le déchiffrer, il a fallut improviser et décider d’un parti pris. Nous avons remarqué qu’il y avait une alternance de textes écrits à la première personne avec des paragraphes écrits de façon impersonnelle. Nous avons alors convenu que les passages à la première personne devraient symboliser le travail de réflexion de l’auteur et seraient dits dans un micro par l’un d’entre nous, depuis les coulisses, et les autres passages, représentant le travail d’écriture lui-même, seraient dits par les autres, présents sur scène et symbolisant la plume qui court sur le papier, aux ordres de la « voix ».
Qui allait devoir rester derrière les rideaux, sans pouvoir se montrer sur la scène de ce théâtre si accueillant ? Avant le départ, mon amie m’avait prévenu : « CUNEO est une ville un peu bourgeoise et pour pouvoir monter sur scène, il faudra être habillé en costume et cravate. » J’avais ainsi emporté ma seule veste puis choisi une chemise et une cravate du plus bel effet. Arrivé sur les lieux, on me traduisit les propos du directeur : impossible pour moi de me montrer sur scène, car la veste de mon costume était claire et il fallait une veste de couleur sombre ! C’est donc moi qui dû rester dans l’ombre, sans pouvoir — ô malheur de misère ! arpenter les planches de cette scène si belle dans ce magnifique petit théâtre à l’italienne.
A toute chose, malheur est bon puisque, une fois la soirée achevée, notre prestation fut saluée par tous. Beaucoup, me montrant du doigt, me disait en italien : « Ah, c’était vous, la "voix" ? Bravo, très bien ! ». Pendant de longues années, mon rêve fut de retourner en Italie et d’y jouer un rôle en italien. Mais mon apprentissage de la langue a pris énormément de retard. Qui sait, peut-être le destin me fera-t-il de nouveau signe ?
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02/02/2008
N O N ! ! !
Mon amie me demande gentiment si elle peut assister à une de nos répétitions. Je lui réponds aussitôt « non ! » d’une manière quasi automatique et plutôt abrupte. Je m’en rends compte et lui explique que la plupart des metteurs en scène n’acceptent pas qu’une personne étrangère au spectacle puisse voir ne serait-ce qu’une fraction de leur travail en cours de réalisation.
Cela peut paraître démesuré comme attitude, on pourrait croire qu’ils en font un peu trop dans le mystérieux. Peut-être. Mais c’est comme ça, je n’ai pas le choix.
Elle est déçue, elle aimerait voir comment se déroule une répétition. Je la console en lui disant que chaque metteur en scène a sa façon de travailler.
Par exemple, je me souviens qu’avec Henri LEGENDRE, qui dirige le Théâtre de l’Alphabet, les comédiens répètent une, voire plusieurs scènes sans une seule interruption. Il donne la priorité aux indications essentielles pour le personnage et la situation. Si le comédien a parfaitement intégré ces informations, s’il joue avec, il ne devrait pas se planter sur tel ou tel moment précis. Ainsi, même si la scène cloche visiblement, il attend jusqu’à la fin avant d’en expliquer la raison. D’autre part, et c’est en totale cohérence avec ce qui précède, il ne vient jamais sur scène pour jouer lui-même ce qu’il attend des acteurs. Il expliquera cinq fois, dix fois, autant de fois que nécessaire plutôt que de montrer, d’imposer quelque chose. Il tient absolument à ce que les choses viennent des comédiens. Pour eux, c’est très valorisant, ils ont vraiment le sentiment de créer, d’apporter leur sensibilité.
Le revers de la médaille est que certains de ses spectacles pêchent par l’imprécision et même la platitude de leur mise en scène ! En effet, des comédies de MOLIÈRE — comme « les Fourberies de Scapin » par exemple — ou bien des vaudevilles d’Eugène LABICHE ou Georges FEYDEAU gagnent en efficacité lorsque les déplacements et les entrées/sorties sont travaillés avec précision. En revanche, des textes de Nathalie SARRAUTE, d’Eugène O’NEILL ou de Jean RACINE, toutes ces œuvres où l’essentiel se passe dans la tête des personnages sont magnifiquement servis par la qualité de la concentration qui résulte de sa méthode de travail. Je me souviens que le TNN avait monté « Phèdre » la même année que le Théâtre de l’Alphabet. Et, parmi ceux qui avaient pu assister aux deux spectacles, je n’étais pas le seul à prétendre que la version d’Henri LEGENDRE était bien plus saisissante, plus impressionnante. Être à moins de trois mètre de Phèdre et l’écouter parler un langage extrêmement raffiné en pleurant toutes les larmes de son corps, rongée par la honte et le désespoir, croyez-moi, ça secoue !
Henri MASINI, qui lui dirige le Théâtre du Cours, procède différemment. Bien qu’il laisse une part de création à chacun, il essaye le plus tôt possible de définir les déplacements, les actions ainsi que les intentions de chaque réplique. Chaque phrase est décortiquée, répétée plusieurs fois, mise en relief. Peu à peu, après plusieurs lectures et les premières répétitions, les personnages commencent à se fixer et les pages suivantes sont plus rapidement travaillées. Au final, après une bonne cinquantaine de répétitions, le spectacle est fin prêt, millimétré. Cette façon de travailler provient surtout du fait qu’il ne monte que des comédies (« le Dîner de Cons » ; « Boïng Boïng » ; « un Grand Cri d’Amour » etc.) Genre qui a besoin d’efficacité et de précision (certains gags, certains quiproquos ne pourraient d’ailleurs pas fonctionner avec de l’à peu près : le mari et l’amant qui se croisent sans se voir etc. etc.) D’ailleurs, je ne verrais pas Henri MASINI monter « la Mouette » d’Anton TCHEKHOV au Théâtre du cours…
Être interrompus à tout bout de champ, recommencer deux lignes plus haut, essayer trois façons différentes en une minute, changer un mot pour un autre, répéter dix fois la même réplique… Cette façon de travailler nécessite des comédiens pas forcément aguerris mais "solides".
En contrepartie, lorsqu’arrive la première, malgré l’inévitable trac qui guette chacun, il y a comme une certitude que tout va bien se passer. Comme un filet invisible prêt à recevoir ceux qui trébucheraient.
Stéphane EICHENHOLC (cliquez ICI pour relire un article le concernant) a joué dans le « Dom Juan » monté par Daniel BENOIN au TNN en 2003. On lui avait confié le rôle de Dom CARLOS, celui qui veut tuer ce séducteur impénitent car il a fait le malheur de sa sœur Elvire. Il y avait une scène entière qu’il « portait ». Il m’a confié qu’il n’a eu droit qu’à trois répétitions en plus des quelques conseils d’un maître d’arme mais… pas de droit à l’erreur !
Jacques FENOUILLET, même s’il donne lui aussi beaucoup d’indications globales sur les personnages et les situations, essaye de nous faire explorer d’autres voies en pratiquant des exercices en apparence purement physiques. Un exemple entre mille : seul, debout sur la scène, le comédien va prononcer les verbes qui sont dans le texte. Il doit les dire chacun plusieurs fois de suite, à l’infinitif, en essayant de leur donner vie, en étant démonstratif, en jouant, en délirant avec. Il ne peut bouger qu’un seul bras, le reste du corps restant immobile. Un autre exemple : à chaque fois que l’on rencontre une conjonction de coordination (les fameux « Mais où est donc ORNICAR ? »), il faut changer d’intention dans notre jeux. Il nous demande aussi de jouer en touchant tout ce qui passe à notre portée, murs, sol, accessoires et partenaires, avec les mains mais aussi avec la tête ou les pieds… Tous ces petits jeux semblent anodins mais il faut reconnaître qu’ils sont très efficaces, surtout lorsqu’on aborde un rôle qui ne nous inspire qu’à moitié.
Souvent, Jacques FENOUILLET tente de nous stimuler par ce qu’il affectionne particulièrement et que j’appelle un « choc aléatoire » : un comédien est remplacé par un autre au dernier moment ; un accessoire essentiel ou un costume est modifié ; une partie du texte qui avait été travaillé est réécrit ; « ce soir, tu ne veux pas jouer pied nus ? »… Etc. Si c’est une chose que j’apprécie beaucoup, c’est parfois déstabilisant, au point d’en être périlleux.
Enfin, je répète actuellement avec ALFRED, un comédien dont j’ai déjà parlé ICI. Il mijotait depuis longtemps le projet d’écrire, monter et jouer une comédie. C’est ce travail-là que nous sommes en train de faire. Dans ce cas, le comédien qui me donne la réplique est aussi le metteur en scène et l’auteur ! La conséquence directe est que non seulement il me permet de tenter des modifications et des ajouts au texte, mais il m’y encourage vivement. Il était entendu dès le départ que le manuscrit qu’il m’avait confié n’était achevé qu’aux deux tiers… Dès que l’un de nous deux a une idée, on s’arrête de jouer et nous l’essayons tout de suite. Nous nous amusons comme des enfants… mais attention, nous travaillons comme des adultes ! Résultat en juin…
C’est en tout cas un point commun que j’ai remarqué chez pratiquement tous les metteurs en scène, soit que j’ai eu la chance de travailler avec eux, soit que je sois allé voir leurs spectacles : toutes proportions gardées, ils accordent une liberté par rapport au texte original, même s’il s’agit des alexandrins de CORNEILLE ou d’une scène ultra connue. Ce peuvent être soit des coupures dans certaines scènes, ou même des scènes entières qui disparaissent ; soit des réécritures pour adapter les répliques aux décors et aux accessoires utilisés, voire aux comédiens (un rôle féminin qui devient masculin par exemple…) ; enfin ce peut être une réplique jugée faible, maladroite ou inadaptée dans le contexte d’une mise en scène particulière, ou lors d’une transposition du théâtre au cinéma (par exemple, lorsque « Cyrano de Bergerac » d’Edmond ROSTAND avait été porté à l’écran par Jean-Paul RAPPENEAU en 1990, une bonne vingtaine de vers avaient été ajoutés !).
Plusieurs metteurs en scène sont également professeurs. Cela leur permet de travailler certaines scènes importantes pendant leur cours, élèves et comédiens mélangés : les comédiens trouvant de nouvelles voies à explorer au contact de nouvelles personnes, dans un contexte différent ; les élèves profitant de l’expérience des autres.
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