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03/07/2008

Anecdotes

« … Quand on écrit une pièce, il y a toujours des causes occasionnelles et des soucis profonds. La cause occasionnelle c'est que, au moment où j'ai écrit « Huis Clos », vers 1943 et début 44, j'avais trois amis et je voulais qu'ils jouent une pièce, une pièce de moi, sans avantager aucun d'eux. C'est-à-dire, je voulais qu'ils restent ensemble tout le temps sur la scène. Parce que je me disais que s'il y en a un qui s'en va, il pensera que les autres ont un meilleur rôle au moment où il s'en va. Je voulais donc les garder ensemble. Et je me suis dit, comment peut-on mettre ensemble trois personnes sans jamais en faire sortir l'une d'elles et les garder sur la scène jusqu'au bout, comme pour l'éternité. C'est là que m'est venue l'idée de les mettre en enfer et de les faire chacun le bourreau des deux autres. Telle est la cause occasionnelle. Par la suite, d'ailleurs, je dois dire, ces trois amis n'ont pas joué la pièce, et comme vous le savez, c'est Michel VITOLD, Tania BALACHOVA et Gaby SYLVIA qui l'ont jouée… »

 

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On ne parlera pas ici des « soucis profonds » de Jean-Paul SARTRE, même si on se doute qu’il s’agit de l'absurdité de nos existences et de la force qu’il faut pour se révolter, pour continuer…

L’auteur de « la Putain Respectueuse » et des « Mains Sales » illustre bien ici ce phénomène paradoxal en apparence. Entre le moment où l’artiste envisage de créer une œuvre et le moment où il pourra commencer sa réalisation, plusieurs années peuvent s’écouler, à attendre ce petit rien qui servira de déclencheur. Un écrivain croisé au hasard d’une rue ; une participation dans un festival ou une opération caritative ; une salle qui se libère ; l’appel au secours d’un confrère ou bien même un échec précédent dont on a gardé le travail, la "matière", et qui devient le point de départ d’un nouveau projet. Et même si, souvent, c’est une idée forte, un besoin d’exprimer un sentiment profond qui est à l’origine d’une œuvre dramatique, il aura fallut attendre que le hasard nous tende la main. Il est toujours difficile (même lorsqu’on est connu) de monter une création. Et la futilité du déclic ne préjuge en rien de la valeur d’un spectacle.

Je me souviens qu’il y a une douzaine d’années, le père d’une amie, italienne d’origine, avait appelé sa fille à la rescousse. Conseiller municipal de CUNEO, il avait dirigé la création d’un festival du livre, en octobre. Mais la troupe de comédien qui était censée assurer les différentes animations à travers la ville durant toute la manifestation avait fait faux bond, à seulement une semaine du début.

Mon amie, élève comme moi au même cours de théâtre, avait à son tour battu le rappel des volontaires pour une aventure en Italie. C’est ainsi je que je me retrouvais, avec quatre autres amis, entassé dans une voiture trop petite pour cinq et filant vers CUNEO. Nous n’avions qu’une idée approximative de ce qui nous attendait. Nous avions quand même pu préparer une animation prévue sous le chapiteau principal (un pastiche de débat entre professionnels du livre, qui s’est fort bien déroulé).

Nous nous sommes ensuite retrouvés dans le théâtre municipal de la commune. Quelques heures plus tôt, on nous avait annoncé qu’il faudrait lire des textes devant un parterre de professionnels. C’était un festival « transalpin", il y avait donc des œuvres écrites en français, mais dont les auteurs n’avaient pu faire le déplacement pour défendre ici leur production. On nous demandait donc de le faire à leur place.

Un problème toutefois : le texte le plus long était très abstrait. Son créateur n’étant pas là pour nous le déchiffrer, il a fallut improviser et décider d’un parti pris. Nous avons remarqué qu’il y avait une alternance de textes écrits à la première personne avec des paragraphes écrits de façon impersonnelle. Nous avons alors convenu que les passages à la première personne devraient symboliser le travail de réflexion de l’auteur et seraient dits dans un micro par l’un d’entre nous, depuis les coulisses, et les autres passages, représentant le travail d’écriture lui-même, seraient dits par les autres, présents sur scène et symbolisant la plume qui court sur le papier, aux ordres de la « voix ».

Qui allait devoir rester derrière les rideaux, sans pouvoir se montrer sur la scène de ce théâtre si accueillant ? Avant le départ, mon amie m’avait prévenu : « CUNEO est une ville un peu bourgeoise et pour pouvoir monter sur scène, il faudra être habillé en costume et cravate. » J’avais ainsi emporté ma seule veste puis choisi une chemise et une cravate du plus bel effet. Arrivé sur les lieux, on me traduisit les propos du directeur : impossible pour moi de me montrer sur scène, car la veste de mon costume était claire et il fallait une veste de couleur sombre ! C’est donc moi qui dû rester dans l’ombre, sans pouvoir — ô malheur de misère ! arpenter les planches de cette scène si belle dans ce magnifique petit théâtre à l’italienne.

A toute chose, malheur est bon puisque, une fois la soirée achevée, notre prestation fut saluée par tous. Beaucoup, me montrant du doigt, me disait en italien : « Ah, c’était vous, la "voix" ? Bravo, très bien ! ». Pendant de longues années, mon rêve fut de retourner en Italie et d’y jouer un rôle en italien. Mais mon apprentissage de la langue a pris énormément de retard. Qui sait, peut-être le destin me fera-t-il de nouveau signe ?

Commentaires

Très agréable à lire ces anecdotes.
Et si on se lâchait un peu plus.
Et si, sur ce blog, tu nous parlais un peu plus à la première personne, si le "JE" ouvrait le rideau.
Allez, en première page, le "Je".
;-)

Écrit par : Claudiogène | 04/07/2008

Très bien raconté. Et c'est valable pour tous les artistes - le chemin n'est pas droit, les résultats diffèrent souvent de ce qu'on a recherché, mais en général c'est comme cela qu'on progresse, qu'on trouve les meilleures idées et qu'on se construit - ce n'est pas en restant chez soi en l'attendant que l'inspiration arrive, mais en travaillant, travaillant et travaillant encore, même si on ne sait pas encore où on va.

Écrit par : Werner Pfarr | 04/07/2008

C'est tentant, Cher Claudio, de dire JE mais, je ne sais pas pourquoi, il me semble que ce site perdrait un peu de sa pureté (s'il en a) et que je risquerais de devenir parfois juge et partie.
C'est un sentiment tout à fait irrationnel, j'en convient, mais que faire ? Mais bon, JE me laisserai tenter un jour, qui sait ?

Werner Pfarr, merci pour votre visite, et surtout merci de souligner que le travail est une composante essentielle du travail d'artiste. On le répètera encore souvent ici.
J'ai tenté de cliquer sur votre lien, mais mon navigateur avoue forfait. Votre lien est-il bien écrit ou est-ce moi qui aie un problème de connection ?

A bientôt à tous.

Écrit par : L U C | 05/07/2008

Pardon je croyais que j'avais déjà corrigé: point-com au lieu de point-f-r.

Écrit par : Werner.Pfarr | 08/07/2008

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