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02/02/2008

N O N ! ! !

Mon amie me demande gentiment si elle peut assister à une de nos répétitions. Je lui réponds aussitôt « non ! » d’une manière quasi automatique et plutôt abrupte. Je m’en rends compte et lui explique que la plupart des metteurs en scène n’acceptent pas qu’une personne étrangère au spectacle puisse voir ne serait-ce qu’une fraction de leur travail en cours de réalisation.
Cela peut paraître démesuré comme attitude, on pourrait croire qu’ils en font un peu trop dans le mystérieux. Peut-être. Mais c’est comme ça, je n’ai pas le choix.
Elle est déçue, elle aimerait voir comment se déroule une répétition. Je la console en lui disant que chaque metteur en scène a sa façon de travailler.

Par exemple, je me souviens qu’avec Henri LEGENDRE, qui dirige le Théâtre de l’Alphabet, les comédiens répètent une, voire plusieurs scènes sans une seule interruption. Il donne la priorité aux indications essentielles pour le personnage et la situation. Si le comédien a parfaitement intégré ces informations, s’il joue avec, il ne devrait pas se planter sur tel ou tel moment précis. Ainsi, même si la scène cloche visiblement, il attend jusqu’à la fin avant d’en expliquer la raison. D’autre part, et c’est en totale cohérence avec ce qui précède, il ne vient jamais sur scène pour jouer lui-même ce qu’il attend des acteurs. Il expliquera cinq fois, dix fois, autant de fois que nécessaire plutôt que de montrer, d’imposer quelque chose. Il tient absolument à ce que les choses viennent des comédiens. Pour eux, c’est très valorisant, ils ont vraiment le sentiment de créer, d’apporter leur sensibilité.
Le revers de la médaille est que certains de ses spectacles pêchent par l’imprécision et même la platitude de leur mise en scène ! En effet, des comédies de MOLIÈRE — comme « les Fourberies de Scapin » par exemple — ou bien des vaudevilles d’Eugène LABICHE ou Georges FEYDEAU gagnent en efficacité lorsque les déplacements et les entrées/sorties sont travaillés avec précision. En revanche, des textes de Nathalie SARRAUTE, d’Eugène O’NEILL ou de Jean RACINE, toutes ces œuvres où l’essentiel se passe dans la tête des personnages sont magnifiquement servis par la qualité de la concentration qui résulte de sa méthode de travail. Je me souviens que le TNN avait monté « Phèdre » la même année que le Théâtre de l’Alphabet. Et, parmi ceux qui avaient pu assister aux deux spectacles, je n’étais pas le seul à prétendre que la version d’Henri LEGENDRE était bien plus saisissante, plus impressionnante. Être à moins de trois mètre de Phèdre et l’écouter parler un langage extrêmement raffiné en pleurant toutes les larmes de son corps, rongée par la honte et le désespoir, croyez-moi, ça secoue !

84d046671b41efb558e031d1b5babb1e.jpgHenri MASINI, qui lui dirige le Théâtre du Cours, procède différemment. Bien qu’il laisse une part de création à chacun, il essaye le plus tôt possible de définir les déplacements, les actions ainsi que les intentions de chaque réplique. Chaque phrase est décortiquée, répétée plusieurs fois, mise en relief. Peu à peu, après plusieurs lectures et les premières répétitions, les personnages commencent à se fixer et les pages suivantes sont plus rapidement travaillées. Au final, après une bonne cinquantaine de répétitions, le spectacle est fin prêt, millimétré. Cette façon de travailler provient surtout du fait qu’il ne monte que des comédies (« le Dîner de Cons » ; « Boïng Boïng » ; « un Grand Cri d’Amour » etc.) Genre qui a besoin d’efficacité et de précision (certains gags, certains quiproquos ne pourraient d’ailleurs pas fonctionner avec de l’à peu près : le mari et l’amant qui se croisent sans se voir etc. etc.) D’ailleurs, je ne verrais pas Henri MASINI monter « la Mouette » d’Anton TCHEKHOV au Théâtre du cours…
Être interrompus à tout bout de champ, recommencer deux lignes plus haut, essayer trois façons différentes en une minute, changer un mot pour un autre, répéter dix fois la même réplique… Cette façon de travailler nécessite des comédiens pas forcément aguerris mais "solides".
En contrepartie, lorsqu’arrive la première, malgré l’inévitable trac qui guette chacun, il y a comme une certitude que tout va bien se passer. Comme un filet invisible prêt à recevoir ceux qui trébucheraient.

6beba1c4441d4ec146b7ac62819052fa.jpgStéphane EICHENHOLC (cliquez ICI pour relire un article le concernant) a joué dans le « Dom Juan » monté par Daniel BENOIN au TNN en 2003. On lui avait confié le rôle de Dom CARLOS, celui qui veut tuer ce séducteur impénitent car il a fait le malheur de sa sœur Elvire. Il y avait une scène entière qu’il « portait ». Il m’a confié qu’il n’a eu droit qu’à trois répétitions en plus des quelques conseils d’un maître d’arme mais… pas de droit à l’erreur !

Jacques FENOUILLET, même s’il donne lui aussi beaucoup d’indications globales sur les personnages et les situations, essaye de nous faire explorer d’autres voies en pratiquant des exercices en apparence purement physiques. Un exemple entre mille : seul, debout sur la scène, le comédien va prononcer les verbes qui sont dans le texte. Il doit les dire chacun plusieurs fois de suite, à l’infinitif, en essayant de leur donner vie, en étant démonstratif, en jouant, en délirant avec. Il ne peut bouger qu’un seul bras, le reste du corps restant immobile. Un autre exemple : à chaque fois que l’on rencontre une conjonction de coordination (les fameux « Mais où est donc ORNICAR ? »), il faut changer d’intention dans notre jeux. Il nous demande aussi de jouer en touchant tout ce qui passe à notre portée, murs, sol, accessoires et partenaires, avec les mains mais aussi avec la tête ou les pieds… Tous ces petits jeux semblent anodins mais il faut reconnaître qu’ils sont très efficaces, surtout lorsqu’on aborde un rôle qui ne nous inspire qu’à moitié.
Souvent, Jacques FENOUILLET tente de nous stimuler par ce qu’il affectionne particulièrement et que j’appelle un « choc aléatoire » : un comédien est remplacé par un autre au dernier moment ; un accessoire essentiel ou un costume est modifié ; une partie du texte qui avait été travaillé est réécrit ; « ce soir, tu ne veux pas jouer pied nus ? »… Etc. Si c’est une chose que j’apprécie beaucoup, c’est parfois déstabilisant, au point d’en être périlleux.

Enfin, je répète actuellement avec ALFRED, un comédien dont j’ai déjà parlé ICI. Il mijotait depuis longtemps le projet d’écrire, monter et jouer une comédie. C’est ce travail-là que nous sommes en train de faire. Dans ce cas, le comédien qui me donne la réplique est aussi le metteur en scène et l’auteur ! La conséquence directe est que non seulement il me permet de tenter des modifications et des ajouts au texte, mais il m’y encourage vivement. Il était entendu dès le départ que le manuscrit qu’il m’avait confié n’était achevé qu’aux deux tiers… Dès que l’un de nous deux a une idée, on s’arrête de jouer et nous l’essayons tout de suite. Nous nous amusons comme des enfants… mais attention, nous travaillons comme des adultes ! Résultat en juin…

C’est en tout cas un point commun que j’ai remarqué chez pratiquement tous les metteurs en scène,
soit que j’ai eu la chance de travailler avec eux, soit que je sois allé voir leurs spectacles : toutes proportions gardées, ils accordent une liberté par rapport au texte original, même s’il s’agit des alexandrins de CORNEILLE ou d’une scène ultra connue. Ce peuvent être soit des coupures dans certaines scènes, ou même des scènes entières qui disparaissent ; soit des réécritures pour adapter les répliques aux décors et aux accessoires utilisés, voire aux comédiens (un rôle féminin qui devient masculin par exemple…) ; enfin ce peut être une réplique jugée faible, maladroite ou inadaptée dans le contexte d’une mise en scène particulière, ou lors d’une transposition du théâtre au cinéma (par exemple, lorsque « Cyrano de Bergerac » d’Edmond ROSTAND avait été porté à l’écran par Jean-Paul RAPPENEAU en 1990, une bonne vingtaine de vers avaient été ajoutés !).

Plusieurs metteurs en scène sont également professeurs. Cela leur permet de travailler certaines scènes importantes pendant leur cours, élèves et comédiens mélangés : les comédiens trouvant de nouvelles voies à explorer au contact de nouvelles personnes, dans un contexte différent ; les élèves profitant de l’expérience des autres.