20/11/2009
Quatre
Quatre extraits du livre « Comme si c’était moi », de Philippe TORRETON, comédien connu au cinéma mais qui a quand même travaillé dix années à la Comédie Française.
Je laisse ces extraits sans commentaire, sachant très bien qu’on peut être contre ses propos comme être entièrement d’accord avec lui. Le but étant que chacun ait envie de réfléchir sur la Culture, et aussi de lire quelques ouvrages sur le théâtre, qu’il s’agisse d’autobiographies ou d’études plus spécialisées.
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Je me suis souvent demandé pourquoi, à l’école, on commençait avec Molière. Mais c’est vachement dur, Molière, à douze ans. On ne comprend rien, c’est truffé de mots totalement oubliés, et ça laisse aux élèves l’impression désagréable que ce n’est pas fait pour eux, Molière, et donc que le théâtre, du même coup, « c’est un peu comme le foot pour les pédés ». Alors qu’il existe partout dans le monde des auteurs vivants, écrivant avec des mots d’aujourd’hui, qui permettraient d’aborder l’art dramatique sans ce genre de complexes castrateurs, pas question d’abandonner Molière ! Mais on peut le remettre à plus tard, quand les bases sont là, et que le virus du langage commence à agir, il ne bougera pas Molière, il est mort de toutes façon, il nous attend fidèle au poste. […/…] Molière n’est pas un prétexte pour faire l’andouille avec des masques. S’il écrivait aujourd’hui, il aurait constamment des problèmes avec les gens en place comme on dit. À son époque, déjà, certains auteurs espéraient sa mort prochaine et se réjouissaient de cette vilaine toux qu’il avait, d’autres appelaient carrément au meurtre… alors… Ne le réduisons pas à un classique qu’il est bon d’avoir lu. Il y a une vie qui va avec, c’est sérieux… et parfois grave, même si c’est drôle.
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Je suis contacté par Jack Ralite pour dire un poème aux états généraux de la culture […/…] il s’agit du « Marbrier de Carrare », de Charles Péguy […/…] Mon premier contact avec le poème est déroutant. Il est bizarrement posé sur le papier, avec des rejets ou renvois à la ligne étranges, et, lorsque je le lis tel que c’est écrit, je ne comprends pas. Un peu comme Claudel, cela devait être à la mode en ce temps-là, lorsqu’on avait un truc à dire, hop ! pas plus de quatre mots par ligne, ou alors ils étaient payés à la feuille. Mon premier travail consista donc à reconstituer les phrases une par une. Alors, tout le sens me parvint. Ce poème est beau, simple et fort. Je m’étais convaincu de le lire (et donc de le recopier) comme je l’avais compris. Mais, saisi d’un doute (car pourquoi alors Péguy l’avait-il rédigé ainsi ?), je me décidai à vérifier auprès de Jean Dautremay, sociétaire spécialiste des poèmes compliqués, si ma méthode n’était pas trop sacrilège. Il trouva ma lecture intéressante, mais me dit qu’il fallait absolument respecter la forme sur le papier, forme qui était aussi de la poésie et signifiait quelque chose. Oui, mais quoi ? Pas de réponse, en tout cas pas claire, et de lui rétorquer que lorsque je respecte l’écriture je ne comprends plus rien. Or il paraît que c’est justement ça, le travail du comédien, respecter l’auteur en le comprenant et en le rendant accessible aux autres. Ouais ! Imparable comme argument, t’as raison ! Sauf que, têtu, j’ai lu mon « Marbrier de Carrare » à ma façon, avec mes phrases reconstituée et, pardon madame ma modestie, mais ça a vachement plu […/…] C’est très beau Claudel, enfin à petites doses, mais lorsque le comédien s’arrête en pleine phrase pour attaquer le reste sur un autre ton, sous prétexte que c’est comme ça dans le livre, ça me fait penser au sketch de Dany Boon sur la collection Harlequin.
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En France on dit : « J’entre » lorsqu’on va sur scène. Dans la tradition de la commedia dell’arte, on dit : « Je sors. »
Je préfère sortir, à tout point de vue, sortir de soi, du monde, pour en gagner un autre.
C’est le plein air, c’est dehors, c’est mieux.
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Je ne suis pas sûr que le moteur principal de l’acteur soit la générosité. Ce mot galvaudé est surexploité en interview […/…] La générosité, c’est un peu le cambouis de ce métier (on ne devient pas garagiste pour en avoir sur les mains, c’est une conséquence, pas une condition nécessaire et suffisante, comme on dit en mathématique).
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Voilà, ce livre est au rayon « Théâtre » de la médiathèque de Nice, rayon fort garni et appétissant.
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12/05/2008
La réplique de la Réplique
J’ai déjà évoqué le collectif de La Réplique le mois dernier (cliquez ICI pour lire l’article).
Demain mardi, vous aurez l’occasion d’en savoir plus en parlant directement avec les protagonistes de cette (belle) aventure.
« L’apéro de la Réplique Nice » aura lieu le mardi 13 mai à 19h à l’Espace Magnan, 31 rue Louis de Coppet à NICE.
Interviendront au cours de cette rencontre :
- Des représentants de La Réplique pour présenter les dernières nouvelles du collectif et faire un bilan des activités effectuées sur Nice ;
- Joël BAYEN-SAUNERES parlera de la relance de la programmation Spectacle Vivant à l'Espace Magnan et des projets 2008/2009 en cette matière ;
Puis à partir de 21h :
- Lectures de textes de l'atelier écriture par des participants à l'atelier lecture («Journées du Passeur» de La Réplique effectuées par Michel BENIZRI et Michel BELLIER à l’espace Magnan en avril dernier) ;
- Projection du film « 11.43 » de Thierry AGUILA, réalisé en octobre 2007 à Marseille dans le cadre des Ateliers Courts de La Réplique. J’ai eu l’occasion de voir ce film lors du 8è « Un Festival c’est trop Court » organisé par Héliotrope. Je pense que beaucoup prendront plaisir à regarder ce polar d’une durée d’environs ¼ d’heure.
Site : www.lareplique.com
ESPACE MAGNAN - 04 93 86 28 75
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14/03/2008
Michel BOUQUET
Je suis en train de lire La Leçon de Comédie, entretiens très intéressants avec le comédien Michel BOUQUET. Bien entendu, je n’ai pu résister au plaisir de vous en livrer quelques passages.
« … Mais ce n’est pas le personnage qui me retient. Je ne suis pas attaché forcément au capitaine Edgar, pas plus qu’au neveu de Rameau ou au Pozzo de Beckett. C’est comme fruits de la création de l’auteur que tout à coup ces personnages me parlent. Je suis donc attaché sentimentalement à l’œuvre et à l’auteur plus qu’au personnage.
C’est d’ailleurs pourquoi je me moque tellement des personnages et que je n’ai pas de peine à les rendre cruels, stupides ou ridicules. Vous m’avez fait mettre le doigt dessus et je suis obligé de le voir alors que je n’y ai jamais pensé, mais c’est vrai : je ne suis jamais un personnage pour le personnage… »
Ce premier extrait, je tenais à le reproduire ici parce que, moi aussi, je viens de réaliser à l’instant combien c’est vrai. On croit être amoureux d’un personnage et en réalité on est bouleversé par le drame qu’il vit — et qui est la justification de son existence !
Cette constatation est à rapprocher de cette autre citation, de Luigi PIRANDELLO cette fois-ci, dans sa préface à Six Personnages en Quête d’Auteur : « Pour exister, tout être imaginaire, toute créature de l’art doit avoir son drame, c’est-à-dire un drame dont elle soit un personnage et qui fasse qu’elle est un personnage. Le drame est la raison d’être du personnage ; c’est sa fonction vitale : nécessaire pour qu’il existe. »
L’extrait suivant est un compliment un peu hâtif, me semble-t-il : « … Il y a aussi une qualité que j’aime beaucoup chez les comédiens, c’est l’humour qu’ils exercent à leur encontre. En tournée, après la représentation, les acteurs vont souvent dîner ensemble. Il est courant de les entendre s’exclamer : "Oh, ce soir j’étais pas fameux." Ils se critiquent, se ridiculisent eux-mêmes de ce qu’ils ont cru mal faire au cours du spectacle. Je ne sais pas si vous avez la même impression que moi mais j’ai vu peu de gens s’autocritiquer après une journée de bureau… »
C’est un comportement que j’ai pu vérifier, mais toutefois, je rajouterai que ce n’est pas l’apanage des seuls comédiens, mais des personnes (très rares) qui ont la chance d’aimer le métier qu’elles font (et puisque personne ni aucun système n’a jamais forcé quelqu’un à devenir comédien, ce sont donc des gens qui ont au moins cette chance-là d’aimer passionnément ce qu’ils font !)
Autre morceau choisi : « … Si un jour on devait perdre la culture du théâtre, ce serait, je crois, la mort de la liberté et de la démocratie dans le monde. Très vite. Si beaux et si spectaculaires que soient les sports, ils ne donnent pas ce que peut offrir le théâtre, presque toujours, ils donnent même le contraire ! Le théâtre est l’endroit de la Cité où un homme peut s’adresser à elle. Et à tout l’univers s’il est puissant. C’est le cas de Beckett. Les hommes du monde entier ont entendu l’homme-Beckett. Le théâtre est une tribune cent fois plus forte que les tribunes des parlements parce qu’elle s’adresse à la bonne volonté des hommes et à ce qu’il y a de plus profond en eux… »
C’est également ma conviction, à ces deux mots près : « très vite ». En effet, je pense que l’inertie de l’énorme machine que constitue notre société retarderait le drame et que la mort du théâtre ne sonnerait pas immédiatement le glas de nos libertés et de notre démocratie. Ce qui serait pire car, ne voyant aucune menace survenir immédiatement, nous laisserions le mal s’installer sournoisement.
Dernier extrait pour cette première partie (eh oui, cela ferait trop long en une seule fois, d’autant que j’ai deux ou trois annonces à faire ensuite !) : « … Un acteur, c’est l’humain général et c’est en cela qu’il n’est rien. C’est un réservoir des rêves et des cauchemars de l’espèce humaine, un homme sans qualité particulière parlant à d’autres hommes qui sont eux aussi des acteurs. [ … / … ] Le comédien, au fond se caractérise par une extrême normalité — d’où la déception de qui s’en approche dans la vie — et par sa capacité de faire sentir aux autres qu’ils ont en eux cinquante millions d’existences différentes… »
C’est promis, un autre article suivra celui-ci, et d’autant plus volontiers que nous savons désormais que la S.A.C.D. n’est pas un méchant gendarme (cliquez ICI pour relire l’article : c’est en fait le 4e commentaire, écrit par M. Christian RULLIER, qui est important) et que nous avons le droit de reproduire jusqu’à 6000 caractères, espace compris, d’une œuvre écrite.
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Et maintenant, trois annonces pour ce week-end :
Ad Libitum - Cie Antipodes - 06 en scène
Etape 2 : Palais Acropolis – Nice
Lundi 24 mars, Salle Galieni AB, 14h00, 15h00 et 16h00
"Une envie simple, impérieuse et évidente de passer de l'autre côté du mur. Au-delà d'un transitoire qui s'étire inexorablement…"
La Cie Antipodes vous invite à partager une étape de travail dans son voyage qu’est la création.
L'héritage : 14h00
Le défit : 15h00
Le lien : 16h00
Trois rendez-vous chorégraphiques tout au long de la journée dans une installation scénographique aux résonances nomades et atemporelles.
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Simon Labrosse, si sa vie vous interesse...
"Simon Labrosse cherche désespérément à entrer dans un système qui l'étouffe, un monde pourri sur lequel il pleut des briques. Sa générosité se confronte sans cesse à la réalité de nos sociétés compétitives qui ne laisse aucune place aux improductifs."
"Je m'appelle Simon Labrosse. Je suis sans emploi, mais je travaille très fort pour m'en sortir. Mes amis et moi on va vous raconter ma vie. Vous ne regretterez pas d'être venus. Vous allez voir, ma vie, c'est passionnant. Tous les problèmes que j'ai, ça va vous réconforter. Parlez-en à vos amis, je voudrais ne pas vous mettre trop de pression mais ça presse un petit peu…"
Auteur : Carole Frechette
Artistes : Frédéric Fialon, Emilie Jobin, Christian Guerin
Scéance à 20h30 (Durée : 01h20)
Tarif : 12 €uros
Théâtre des Oiseaux (~ 50 places)
6, rue de l'Abbaye
Nice
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l'Espace A VENDRE propose...
Vendredi 14 mars à 20h30 :
Sur une proposition de Johanna PIRAINO
Répétition publique à l'entrepont
Halles Spada (salle de répétition de la Cie Grain de Sable)
avenue Denis Semeria
Nice
« Troupe d’intervention féminine » : travail d’écriture, théâtre d’image, performance, chansons.
Huit femmes se réunissent pour réfléchir et exploiter quelques thèmes qui leur tiennent à cœur :
le PC, les magazines, les hommes, le corps. Elles sont folles et elles ont bien raison.
Avec : Emilie Atlan, Elise Clary, Bérengère Humblet, Magali Maria, Anne Molenat, Sophie de Mongolfier, Johanna Piraino, Sophie Sergio.
Samedi 15 mars à 18h00 :
Lecture de Cécile Mainardi
A l’Espace A VENDRE
17 rue Smolett
Nice
04 93 79 83 44 - 06 11 89 24 89
Cécile Mainardi est née dans la région parisienne où elle a passé son enfance et son adolescence, un oeil néanmoins toujours tournée vers le sud, l’horizon italien… Après de brèves années d’enseignement dans la région de Nice, un livre chez Jean-Michel Rabaté et François Dominique l’emmène à Rome à la Villa Médicis, elle y passe six années. De retour en France, elle se réinstalle dans le sud, où sa fréquentation des artistes modèle sans nul doute son inventivité et son rapport à l’écriture. Hésitant toujours entre trouver/révéler/générer de la poésie dans sa propre vie, et susciter de la vie dans sa poésie, elle recharge ou crispe/aère chacune tour à tour de cette hésitation.
Livres :
* Grièvement, éditions Telo Martius, 1992.
* L’Armature de Phèdre, éditions Contre-Pied, 1997.
* La forêt de Porphyre, éditions Ulysse Fin de Siècle, 1998.
* La blondeur, éditions Contre-Pied, 2004.
* Point Of View, livre de collaboration avec l’artiste photographe A. Gomez de Tuddo, Albatross, Rome, 2005.
* La Blondeur, les Petits Matins, Paris, 2006.
* Je suis une grande Actriste, l’Attente, 2006.
* L’eau super-liquide (à paraître en 2007).
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02/02/2008
N O N ! ! !
Mon amie me demande gentiment si elle peut assister à une de nos répétitions. Je lui réponds aussitôt « non ! » d’une manière quasi automatique et plutôt abrupte. Je m’en rends compte et lui explique que la plupart des metteurs en scène n’acceptent pas qu’une personne étrangère au spectacle puisse voir ne serait-ce qu’une fraction de leur travail en cours de réalisation.
Cela peut paraître démesuré comme attitude, on pourrait croire qu’ils en font un peu trop dans le mystérieux. Peut-être. Mais c’est comme ça, je n’ai pas le choix.
Elle est déçue, elle aimerait voir comment se déroule une répétition. Je la console en lui disant que chaque metteur en scène a sa façon de travailler.
Par exemple, je me souviens qu’avec Henri LEGENDRE, qui dirige le Théâtre de l’Alphabet, les comédiens répètent une, voire plusieurs scènes sans une seule interruption. Il donne la priorité aux indications essentielles pour le personnage et la situation. Si le comédien a parfaitement intégré ces informations, s’il joue avec, il ne devrait pas se planter sur tel ou tel moment précis. Ainsi, même si la scène cloche visiblement, il attend jusqu’à la fin avant d’en expliquer la raison. D’autre part, et c’est en totale cohérence avec ce qui précède, il ne vient jamais sur scène pour jouer lui-même ce qu’il attend des acteurs. Il expliquera cinq fois, dix fois, autant de fois que nécessaire plutôt que de montrer, d’imposer quelque chose. Il tient absolument à ce que les choses viennent des comédiens. Pour eux, c’est très valorisant, ils ont vraiment le sentiment de créer, d’apporter leur sensibilité.
Le revers de la médaille est que certains de ses spectacles pêchent par l’imprécision et même la platitude de leur mise en scène ! En effet, des comédies de MOLIÈRE — comme « les Fourberies de Scapin » par exemple — ou bien des vaudevilles d’Eugène LABICHE ou Georges FEYDEAU gagnent en efficacité lorsque les déplacements et les entrées/sorties sont travaillés avec précision. En revanche, des textes de Nathalie SARRAUTE, d’Eugène O’NEILL ou de Jean RACINE, toutes ces œuvres où l’essentiel se passe dans la tête des personnages sont magnifiquement servis par la qualité de la concentration qui résulte de sa méthode de travail. Je me souviens que le TNN avait monté « Phèdre » la même année que le Théâtre de l’Alphabet. Et, parmi ceux qui avaient pu assister aux deux spectacles, je n’étais pas le seul à prétendre que la version d’Henri LEGENDRE était bien plus saisissante, plus impressionnante. Être à moins de trois mètre de Phèdre et l’écouter parler un langage extrêmement raffiné en pleurant toutes les larmes de son corps, rongée par la honte et le désespoir, croyez-moi, ça secoue !
Henri MASINI, qui lui dirige le Théâtre du Cours, procède différemment. Bien qu’il laisse une part de création à chacun, il essaye le plus tôt possible de définir les déplacements, les actions ainsi que les intentions de chaque réplique. Chaque phrase est décortiquée, répétée plusieurs fois, mise en relief. Peu à peu, après plusieurs lectures et les premières répétitions, les personnages commencent à se fixer et les pages suivantes sont plus rapidement travaillées. Au final, après une bonne cinquantaine de répétitions, le spectacle est fin prêt, millimétré. Cette façon de travailler provient surtout du fait qu’il ne monte que des comédies (« le Dîner de Cons » ; « Boïng Boïng » ; « un Grand Cri d’Amour » etc.) Genre qui a besoin d’efficacité et de précision (certains gags, certains quiproquos ne pourraient d’ailleurs pas fonctionner avec de l’à peu près : le mari et l’amant qui se croisent sans se voir etc. etc.) D’ailleurs, je ne verrais pas Henri MASINI monter « la Mouette » d’Anton TCHEKHOV au Théâtre du cours…
Être interrompus à tout bout de champ, recommencer deux lignes plus haut, essayer trois façons différentes en une minute, changer un mot pour un autre, répéter dix fois la même réplique… Cette façon de travailler nécessite des comédiens pas forcément aguerris mais "solides".
En contrepartie, lorsqu’arrive la première, malgré l’inévitable trac qui guette chacun, il y a comme une certitude que tout va bien se passer. Comme un filet invisible prêt à recevoir ceux qui trébucheraient.
Stéphane EICHENHOLC (cliquez ICI pour relire un article le concernant) a joué dans le « Dom Juan » monté par Daniel BENOIN au TNN en 2003. On lui avait confié le rôle de Dom CARLOS, celui qui veut tuer ce séducteur impénitent car il a fait le malheur de sa sœur Elvire. Il y avait une scène entière qu’il « portait ». Il m’a confié qu’il n’a eu droit qu’à trois répétitions en plus des quelques conseils d’un maître d’arme mais… pas de droit à l’erreur !
Jacques FENOUILLET, même s’il donne lui aussi beaucoup d’indications globales sur les personnages et les situations, essaye de nous faire explorer d’autres voies en pratiquant des exercices en apparence purement physiques. Un exemple entre mille : seul, debout sur la scène, le comédien va prononcer les verbes qui sont dans le texte. Il doit les dire chacun plusieurs fois de suite, à l’infinitif, en essayant de leur donner vie, en étant démonstratif, en jouant, en délirant avec. Il ne peut bouger qu’un seul bras, le reste du corps restant immobile. Un autre exemple : à chaque fois que l’on rencontre une conjonction de coordination (les fameux « Mais où est donc ORNICAR ? »), il faut changer d’intention dans notre jeux. Il nous demande aussi de jouer en touchant tout ce qui passe à notre portée, murs, sol, accessoires et partenaires, avec les mains mais aussi avec la tête ou les pieds… Tous ces petits jeux semblent anodins mais il faut reconnaître qu’ils sont très efficaces, surtout lorsqu’on aborde un rôle qui ne nous inspire qu’à moitié.
Souvent, Jacques FENOUILLET tente de nous stimuler par ce qu’il affectionne particulièrement et que j’appelle un « choc aléatoire » : un comédien est remplacé par un autre au dernier moment ; un accessoire essentiel ou un costume est modifié ; une partie du texte qui avait été travaillé est réécrit ; « ce soir, tu ne veux pas jouer pied nus ? »… Etc. Si c’est une chose que j’apprécie beaucoup, c’est parfois déstabilisant, au point d’en être périlleux.
Enfin, je répète actuellement avec ALFRED, un comédien dont j’ai déjà parlé ICI. Il mijotait depuis longtemps le projet d’écrire, monter et jouer une comédie. C’est ce travail-là que nous sommes en train de faire. Dans ce cas, le comédien qui me donne la réplique est aussi le metteur en scène et l’auteur ! La conséquence directe est que non seulement il me permet de tenter des modifications et des ajouts au texte, mais il m’y encourage vivement. Il était entendu dès le départ que le manuscrit qu’il m’avait confié n’était achevé qu’aux deux tiers… Dès que l’un de nous deux a une idée, on s’arrête de jouer et nous l’essayons tout de suite. Nous nous amusons comme des enfants… mais attention, nous travaillons comme des adultes ! Résultat en juin…
C’est en tout cas un point commun que j’ai remarqué chez pratiquement tous les metteurs en scène, soit que j’ai eu la chance de travailler avec eux, soit que je sois allé voir leurs spectacles : toutes proportions gardées, ils accordent une liberté par rapport au texte original, même s’il s’agit des alexandrins de CORNEILLE ou d’une scène ultra connue. Ce peuvent être soit des coupures dans certaines scènes, ou même des scènes entières qui disparaissent ; soit des réécritures pour adapter les répliques aux décors et aux accessoires utilisés, voire aux comédiens (un rôle féminin qui devient masculin par exemple…) ; enfin ce peut être une réplique jugée faible, maladroite ou inadaptée dans le contexte d’une mise en scène particulière, ou lors d’une transposition du théâtre au cinéma (par exemple, lorsque « Cyrano de Bergerac » d’Edmond ROSTAND avait été porté à l’écran par Jean-Paul RAPPENEAU en 1990, une bonne vingtaine de vers avaient été ajoutés !).
Plusieurs metteurs en scène sont également professeurs. Cela leur permet de travailler certaines scènes importantes pendant leur cours, élèves et comédiens mélangés : les comédiens trouvant de nouvelles voies à explorer au contact de nouvelles personnes, dans un contexte différent ; les élèves profitant de l’expérience des autres.
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08/12/2006
Avoue !
Ce soir, je n’étais pas bon. J’en suis sûr. Souvent, on a du mal à se faire une idée exacte de notre performance scénique, et une représentation ressentie comme médiocre sera en réalité très bien perçue par le public. Mais là non. Je sais que je n’ai pas bien joué.
J’étais crevé, harassé par une semaine de travail. Je n’étais pas du tout concentré. Pour la reprise, un jeudi, je n’avais même pas revu mon texte !
J'ai eu quelques petits bafouillis, mais surtout j’ai joué d’une façon très mécanique. Avec de surcroît une voix "en dessous" par rapport à celle de mes partenaires.
Pourquoi est-ce que je vous avoue tous ça ? Parce que j’ai du mal à me l’avouer à moi-même… Je me suis trouvé plein d’excuses, et j’ai même remarqué les erreurs de mes camarades…
Mon professeur de théâtre m’avait prévenu : ce qui est à prendre en compte chez un comédien, ce n’est pas sa meilleure représentation, c’est sa valeur MOYENNE. Et ce soir, ma moyenne a chuté…
Allons, il me reste 31 représentations, je vais me rattraper.
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J’ai une nouvelle plus sympathique : voici enfin l’affiche du spectacle « Quand Ça Balance... ! », qui avait été annoncé lors de la troisième partie de l’interview de Marie-Pierre et d’Isabelle, mercredi 06 décembre dernier.
Si je dis « bonne nouvelle », c'est qu'il y en a eu des mauvaises, dans le laps de temps qui s'est écoulé depuis la réalisation de cette interview. Cela ne m'étonne qu'à peine. Rares, très rares sont les spectacles dont la préparation se déroule sans imprévu et sans soucis. Et celui-là n'échappe pas à la règle (changement de musicien et autres coups du sort…)
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29/11/2006
De Mémoire
La question de la mémoire vient à l’esprit de beaucoup de spectateurs qui ne sont encore jamais montés sur scène pour y dire un texte.
" Le Penseur " de RODIN
« La mémoire est un muscle », nous rappelait notre professeur de théâtre. Et il est vrai qu’après un peu d’entraînement, retenir un texte, même long, ne nécessite plus qu’un « simple » effort de travail ; travail étant pris dans le sens de labeur. En effet, il y a des jours où l’on est très motivé pour apprendre le texte que l’on va répéter ; on en profite pour le disséquer, y trouver des pistes pour notre personnage, peaufiner la diction, jubiler à l’avance sur certaines répliques particulièrement bien écrites. D’autres jours, en revanches, ce travail nécessaire devient une simple activité obligatoire, peu enrichissante, et l’on est tenté de trouver mille excuses pour faire autre chose.
En ce qui concerne mon expérience personnelle, mes observations sont les suivantes (J’ai bien dit que ces observations sont toutes personnelles. Toutefois, je crois que parmi les comédiens que j’ai pu croiser, plusieurs seront plutôt d’accords, même s’ils exprimeront différemment ces idées) :
Je crois qu’il y a deux facteurs essentiels dans le processus de mémorisation. Le premier est le temps qui court à partir du moment où l’on a commencé à apprendre un texte, et celui où l'on est en train de le dire (et non pas de le « réciter » !) Car je parle de la mémorisation d’un texte, qu’il s’agisse d’une pièce de théâtre, d’une chanson ou même d’un discours. Donc, ce temps joue pour nous, à la condition express que la personne travaille son texte régulièrement. Pas forcément intensément, mais régulièrement. Au début très souvent, puis de moins en moins. On est souvent très surpris par nos propres capacités de mémorisation. En effet, si les premiers jours sont laborieux, les semaines suivantes nous montrent bien, je l’ai dit, que le temps travaille à notre place, et qu’il suffit simplement d’entretenir l'effort des jours précédents pour renforcer la mémorisation du manuscrit. Le deuxième facteur important dans ce processus, c’est le travail effectué sur le texte par le comédien lors des répétitions, là où l’on associe d’autres éléments à ce qui est écrit. Car bien évidemment, le metteur en scène va donner toutes sortes d’indications à chacun, et tous vont devoir les mettre en pratique. Entrées et sorties, déplacements, état d’esprit, actions, accessoires et aussi jeux des autres partenaires ; toutes ces informations devront être intégrées comme le texte.
Durant ces répétitions, il y aura d’ailleurs un moment important : celui où l’on cesse de travailler avec le manuscrit à la main. L’instant où l’on range le texte et que l’on tente de jouer sans le secours des quelques feuillets avec lesquels on vit depuis plusieurs semaines. Ce moment, il ressemble un peu à celui où le petit enfant lâche la main de sa maman et fait ses premiers pas sans l’aide de personne. Passé ces instants, le texte est su plus que par cœur. « Par cœur », c’est suffisant pour jouer dans sa salle de bain, pas sur une scène, avec toutes les contraintes qui s’imposent ; là, il faut le savoir au-delà du par cœur.
Pour terminer cette rubrique, je laisse ici les liens vers quelques sites qui traitent de la mémoire, avec cette fois-ci un point de vue beaucoup plus scientifique (cliquez sur les titres).
« Disque dur et mémoire vive ? » par le mensuel de l’université de Liège « le 15ème jour » ;
« La mémoire » par le site suisse « Prévention » ;
« Mémoire (sciences humaines) » par le site encyclopédique WikipédiA.
Toile de Dominique Albertelli
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12/09/2006
D’un spectacle, qui en est le véritable moteur ?
J’ai déjà abordé ce sujet avec plusieurs metteur en scènes, professeurs et même une ou deux célébrités. Chacun d’entre eux a pu m’expliquer d’une façon très pertinente que c’était, qui l’auteur, qui le comédien ou qui le metteur en scène le véritable artisan de la réussite d’un spectacle.
Leurs exemples étaient à chaque fois très convaincants, mais il faut bien admettre qu’ils ne peuvent avoir raison tous en même temps. Ma version des choses est que personne ne semble voir le caractère foncièrement collectif du Spectacle Vivant. (c’est à dire : à partir de deux personnes) L’œuvre finale peut évidemment être morcelée en composantes de base, où chaque contribution personnelle serait clairement identifiée. Mais le spectateur n’en a rien à fiche, il est venu pour recevoir la totalité de l’œuvre.
Dans un spectacle, tout compte.
On ne doit se planter sur rien. Et tant que la représentation n’est pas finie, tout peut arriver. Au soir de certaines représentations, on dit de telle ou tel comédien qu’il a « porté le spectacle ». Sans rien vouloir retirer à personne, si les autres n’avaient pas été à la hauteur, la représentation n’aurait pas été bonne. On aurait dit alors : « Untel, lui il jouait bien quand même… », et non pas « Woaw ! Quel spectacle formidable ! ».
Qui est le moteur véritable ? Peut-on seulement savoir la part de nous-même que nous laissons dans une représentation ? Le Spectacle Vivant peut-il être autre qu’un travail collectif ?
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