Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

06/04/2013

MOLIÈRE, ÇA ROXE DU PONEY !

Au théâtre de la Tour Gorbella à Nice, la salle était pleine à craquer hier vendredi soir, lors d’une représentation des Femmes Savantes, par le Cercle Molière.

Il faut dire qu’à l’initiative de monsieur Frédéric Gentilini, professeur de lettres modernes au collège Valeri, 42 élèves étaient venus, encadrés par quelques professeurs volontaires.
Avant même de saluer le travail accompli par la troupe, je veux saluer tous ces jeunes gens, élèves de 3ème, pour la qualité de leur écoute et la bonne tenue dont ils ont su faire preuve. Certains adultes ont été moins sages.
Monsieur Gentilini m’a confié qu’il avait fait travailler d’autres pièces de Molière à ses élèves, mais pas celle-là. Il avait quand même pris le temps de la leur expliquer. Cela m’a surpris car j’ai pu constater que la plupart ne perdaient aucune des informations, pourtant distillées au travers d’un dialogue écrit en alexandrins et dans un langage précieux aujourd’hui désuet.

Molière, Alexandrin, Femmes savantes

Les élèves, mais aussi tous les autres spectateurs présents dans la salle (qui jauge 90 places) ont pu découvrir tout d’abord le décor, composé essentiellement de six grands panneaux représentant chacun un portait en pied d’une femme connue : Eve, Cléopâtre, Jeanne d’Arc, Marie Curie, George Sand et Joséphine Baker. Ces panneaux composaient à eux six le fond de la scène, tout en y ménageant des ouvertures. En plus de cela, quelques petits éléments d’un mobilier plutôt chic, une desserte, un guéridon… L’ensemble, ainsi que les costumes, étant clairement daté des années 20. En effet, le metteur en scène Pierre Castello avait choisi de propulser la pièce à l’époque de la création du Cercle Molière, en 1922 exactement. Bonne idée car ces "années folles " ont donné à la pièce un ton pétillant qui lui allait très bien.

Les Femmes Savantes, pièce très connue de Molière, raconte l’histoire d’une famille divisée en deux clans (comme souvent dans les comédies de Molière) : d’un côté des femmes amoureuses à outrance du beau langage, des sciences et de la philosophie ; de l’autre le père, l’oncle et la bonne beaucoup plus raisonnables et cartésiens. Au milieu d’eux, Henriette aime Clitandre. Mais sa mère ne l’entend pas de cette oreille, car elle veut lui faire épouser Trissotin, un pédant qui a bien compris tout le parti qu’il pouvait tirer en s’introduisant dans cette famille. Ajoutons à cela un père qui n’ose jamais contredire sa femme et lui obéit en tout, de peur de la voir s’emporter. Mais c’est une comédie et le bon sens et la justice triompheront.

Des décors et des costumes bien réalisés, une mise en scène inventive, mais des comédiens de qualité inégale.
Dire des alexandrins est un exercice à part entière, qui demande une adresse particulière.

Ceci dit, on notera la bonne prestation de Marianne Delpont dans le rôle de Bélise, la tante aux chimères envahissantes et à l’alcoolisme discret.
Bonne prestation aussi pour Michel Blanck, qui nous montre un Chrysale pleutre et pourtant sympathique.
Enfin, bravo à Jean-Robert Thierry pour son Trissotin fourbe et creux à souhait. Comme le répétait mon professeur de théâtre, Henri Legendre : « Il faut beaucoup d’intelligence pour jouer les imbéciles ». Et il n’est pas facile de jouer un personnage excentrique et improbable sans en faire trop (car je pense que si je devais le jouer, j’en ferai beaucoup, beaucoup, rien que pour le plaisir).
Les personnages dits "secondaires" sont bien campés, ce qui n’est pas évident lorsqu’on ne dispose que d’une ou deux petites scènes.

Quelques trous de mémoire, rien de bien catastrophique, quelques placements à revoir, mais l’ensemble donne un spectacle qui ne trahit pas l’auteur et qui montre qu’on peut se divertir tout en réfléchissant.

Enfin, Pierre Castello prouve que la mise en scène permet au théâtre de se renouveler sans cesse.
Les jeunes du collège Valeri vous le diront : Molière, ça roxe du poney !
Pour le vérifier, il vous reste encore aujourd’hui samedi, à 21h00 et demain dimanche à 15h00, toujours au théâtre de la Tour Gorbella à Nice.
Tarif = 13 Euros — réduit = 10 Euros

15/12/2011

Coup double

J’ai assisté à deux spectacles ce week-end dernier.

 

Celui de vendredi soir était cette fameuse Sortie de stage que j’avais annoncée dans ces colonnes. Était-ce réellement un spectacle ?

L’affiche nous avait prévenus, il s’agissait d’un travail clôturant un stage sur le masque. Toutefois, il était précisé « stage de formation professionnelle conventionné AFDAS », laissant entendre qu’il s’agissait de comédiens professionnels voulant se former aux techniques du masque. Or, ce qu’on nous a montré ce soir-là était manifestement le résultat d’élèves débutants. Cela se voit à certains réflexes de protection, par exemple avouer au public, par l’intermédiaire d’un personnage, que l’on a le trac. On veut faire croire que ce n’est pas l’acteur qui parle mais une créature fictive, mais on ne dupe personne.

C’est dommage, la représentation était plutôt bien partie : le public était accueilli, dès son arrivée au guichet, par plusieurs personnages déjà masqués et costumés. Puis chacun des douze comédiens arrivait seul sur la scène et produisait "quelque chose". "Pas grand’ chose" ? Ce serait injuste, certains arrivaient réellement à installer un personnage original et intéressant. Mais pas tous.

Après cette amusante présentation, je m’attendais à ce que tous ces êtres masqués commencent à interagir entre eux, pour le plus grand plaisir des spectateurs, mais non : c’était déjà la fin, plus d’une heure avait passé !

L’ambiance Commedia dell’Arte était sympathique, mais le résultat un peu décevant.

corneille,moliere,valérie durin

 

Le spectacle de samedi soir fut bien meilleur. Corneille-Moliere l’arrangement, que j’avais également annoncé ici, était interprété par deux comédiens qui avaient, eux, une vraie expérience de la scène. Il s’agissait surtout d’un travail abouti, réfléchi et efficace. La mise en scène montrait, une fois de plus, qu’on peut faire un très bon spectacle avec des moyens modestes et simples. Je l’ai déjà dit, l’idée de génie, l’invention qui révolutionne le théâtre, c’est plutôt rare ; cela n’empêche pas des metteurs en scène comme Valérie DURIN (par ailleurs auteur de la pièce) de fournir une accumulation de "petites trouvailles" aboutissant à un spectacle très bon.

Texte très bien écrit avec, comme il se doit lorsqu’on met en scène MOLIERE, quelques citations habilement détournées.

Cette troupe vient du département de l’Allier, mais j’espère qu’ils nous rendront d’autres visites afin que toutes et tous puissent en profiter.

corneille,moliere,valérie durin

Les deux comédiens formaient un tandem équilibré.

Le théâtre Georges Brassens, lui, reste bâti à Saint-Laurent-du-Var et j’invite les lectrices et les lecteurs de ce blog à examiner sa programmation, car elle propose souvent des choses intéressantes.

07/11/2011

En générale

J’étais invité, la semaine dernière, à la générale de l’Impromptu de Versailles, qui se joue jusqu’au 19 novembre au TNN, salle Michel Simon (la "petite" salle de 350 places).

molière,tnn,paul chariéras,critique

La générale est la dernière répétition, juste avant la première représentation devant le public. Mais dans les grosses structures, il est d’usage d’inviter des personnes pour y assister.

Les usages, les traditions, il en est parfois question dans cet Impromptu, et Paul CHARIÉRAS, le metteur en scène nous l’a rappelé à la fin du spectacle, alors que le public applaudissait : il s’agit d’une répétition, donc les comédiens ne viennent pas saluer sur le devant de la scène.

Peu importe, chaque invité connaissant au moins un membre de l’équipe, nous avons pu prolonger la soirée en discutant un peu.

 

En traversant les cercles de conversation, j’ai pu me rendre compte de l’accueil mitigé de cette interprétation de la pièce de MOLIÈRE.

 

Dans le dossier de presse lui-même, on explique qu’il s’agit « d’une pièce unique et totalement atypique dans l’œuvre du plus grand homme de théâtre qu’ait connu le XVIIè siècle » (je ne suis pas entièrement d’accord, Don Juan me semble aussi une œuvre à part).

Elle est surtout atypique dans sa raison d’être. En effet, MOLIÈRE a écrit ce texte pour répliquer aux attaques qui fusaient de toutes part. Il a répondu à sa façon, avec ses armes à lui. Est-ce à dire que le résultat n’est pas une pièce de théâtre ? Si, si, bien sûr. Toutefois, certaines bases sont bousculées. Et pas des moindres.

 

Il est un principe, notamment, qui veut que souvent — pas toujours mais souvent — une pièce doit montrer une évolution, un cheminement. L’action, un ou plusieurs personnages, quelque chose doit partir d’un point A pour arriver à un point B. Pour cela, elle peut d’abord passer par petit a puis petit b, c et d… Bref, le spectateur doit constater que, même immobiles, les personnages ne sortent pas indemnes du drame ou de la comédie qui vient de se dérouler.

Hors, dans cet Impromptu de Versailles, c’est moins évident. Jean-Baptiste POQUELIN, qui se met lui-même en scène avec sa troupe de comédiens, montre à son public les difficultés de son métier, et tout le talent qu’il faut pour proposer au roi, en un temps record et dans l’urgence, un spectacle qui tienne la route. Tout occupé à expliquer ses théories sur le théâtre et à répondre à ses adversaires, il a délaissé ce principe de progression.

 

Ainsi, il était difficile pour les comédiens du TNN de tenir le public en haleine durant une heure et quart. Paul CHARIÉRAS qui signe la mise en scène endosse également le rôle principal, celui de Jean-Baptiste POQUELIN. Et si son jeu est acceptable, parfois très bon, il n’a pas réussi à éviter la monotonie. Une monotonie bien camouflée, dissimulée sous les pirouettes et surtout d'excellents décors très bien conçus — des décors qui montrent… l’envers du décor !

Ajoutons à cela que quelques comédiens semblent un peu "verts" et cela plombe davantage le rythme.

Et pourtant, ce spectacle n’est pas loin d’être au point. Il contient quelques très bonnes scènes avec de bonnes performances. Il y a des trouvailles. Il ne faut pas le remanier, juste le retoucher.

 

molière,tnn,paul chariéras,critique

molière,tnn,paul chariéras,critique

Ce texte n’est pas le premier tir de mortier, MOLIÈRE avait auparavant composé l’École des Femmes, pièce qui avait suscité de nombreuses critiques, notamment de la part de Donneau de Visé. MOLIÈRE répliqua alors avec la Critique de l’École des Femmes, laquelle ne diminua pas ces pamphlets et autres caricatures. MOLIÈRE écrivit alors l’Impromptu de Versailles, en précisant cette fois qu’il ne prétendait « faire aucune réponse à toutes leurs critiques et leurs contre-critiques… », bien que ses adversaires aient continué leurs attaques.

molière,tnn,paul chariéras,critique

Pour plus de détails sur les horaires et les tarifs, le site du TNN est en lien Colonne de Gauche.

20/03/2011

Catharsis

L’ai-je déjà dit ici ? Je ne crois pas comme Molière que « le devoir de la comédie étant de corriger les hommes en les divertissants …/… je n’avais rien de mieux à faire que d’attaquer par des peintures ridicules les vices de mon siècle… » (début du premier placet présenté au roi sur la comédie de Tartuffe).
Je n’ai jamais vu de pingre qui, après une représentation de l’Avare, soit devenu prodigue, généreux et désintéressé. L’Avare n’a jamais rendu personne moins avare.

Illustre-Point de vue-Catharsis-Avare-01.jpg

Et pourtant, en effet, le théâtre est essentiel… pas à l’homme, mais à la société des hommes. Grande cérémonie de communication collective, qui a rempli des fonctions diverses et variées durant plus de 25 siècles, mais qui a toujours eu une utilité sociale.
Le rôle du théâtre est difficile à définir et impossible à quantifier. Ce qui va à l’encontre de notre culture du résultat. Le Spectacle Vivant coûte cher à la collectivité ? Alors il doit fournir des résultats immédiats et mesurables !
Mais nous ne pouvons pas installer à l’entrée des théâtres des appareils à mesurer l’avarice, pour vérifier que le public a bel et bien été transformé, purgé de ses vices, à la simple vue d’un classique du répertoire.
Le chemin que va parcourir l’œuvre est bien plus long, plus compliqué. Et ses effets, absolument bénéfiques, ne seront pas forcément ceux attendus.
Ainsi, vous les compagnies, vous les théâtres et tous les artistes, continuez à œuvrer, faites le à fond et vous ferez toujours bien, mais sans la vanité de croire que vous serez les médecins de l’humanité. Vous semez et vous récolterez un jour, ce n’est déjà pas si mal !

18/02/2011

Le jeu de la vérité

Nous n’avons pas répété mardi 15 dernier, la salle n’était pas disponible ; c’est un petit tracas que rencontrent parfois ceux qui n’ont pas un local bien à eux.
A la place, je reviens sur un sujet que j’évoquais il y a quelques mois : la question du vrai au théâtre (cliquez ICI pour relire l’article). Je soulignais entre autre que chaque spectateur normalement constitué sait que tout ce qu’il verra durant le spectacle est faux, même s’il a devant lui le meilleur comédien du monde dans une mise en scène hyper réaliste.
Toutefois, cette remarque ne doit pas être la porte ouverte au n’importe quoi. En effet, si la réalité et le naturel ne sont pas les buts ultimes du théâtre, beaucoup de metteurs en scène restent exigeants sur la justesse des émotions ou de l’intonation, par souci de cohérence.
La cohérence est plus indispensable que le vrai au théâtre. Le plus improbable des personnages peut être très crédible, s’il réagit d’une façon juste par rapport à ce que l’on sait déjà de lui.
Je citerai un exemple qui m’a déjà servi ailleurs : vers la fin des Fourberies de Scapin, alors que le dénouement devient carrément invraisemblable, MOLIÈRE en rajoute une couche en faisant dire à Hyacinte : « Ô Ciel ! que d'aventures extraordinaires ! » Il n’est pas nécessaire que la comédienne qui joue le rôle ait l’air vraiment convaincue qu’il s’agit d’une aventure extraordinaire (ce n’est pas obligé, mais ce n’est pas interdit non plus) elle peut employer un ton ironique, montrer une explosion de joie ou danser et chanter… du moment que le public, qui a eu le temps de faire connaissance avec ce personnage, se dise « sacrée Hyacinte… » ou bien que cela aille dans le sens de la tonalité générale (façon Commedia dell’Arte, univers clownesque, intermède musical, comédie bourgeoise…). En revanche, si le metteur en scène demande à la comédienne de jouer, mettons, la folie douce, elle doit le faire à fond, "pour de vrai", que cela soit plausible ou non.

vérité,cohérence,alexandrin,molière

 Restons en compagnie de MOLIÈRE et prenons comme deuxième exemple cet alexandrin extrait du Tartuffe : « La curiosité qui vous presse est bien forte » (Orgon, scène 2, acte II)
Les alexandrins sont, faut-il le rappeler, des vers de 12 pieds. Or, les auteurs se permettent parfois de petites entorses à cette métrique : certains vers ne comportent que 11 syllabes, mais l’une d’entre elle est décomposée en deux. C’est une convention mise en place depuis fort longtemps et acceptée même par les plus classiques. Elle peut s’appliquer à des mots contenant le son « YEU » par exemple, comme « curieux » qui se prononce d’ordinaire en deux syllabes KU — RYEU mais qui, en cas de besoin, comptera pour trois syllabes : KU — RI — EU.
Et c’est là l’origine d’un vaste débat (exagéré à mon sens). Il y a les partisans du "naturel" à tout prix, et qui recommandent donc de prononcer chaque mots comme dans la vie de tous les jours, et tant pis pour la métrique ; puis ceux qui s’attachent au rythme, à la musicalité ou parfois à la tradition, et qui souhaitent que chaque pied soit conservé, quitte à ce que certains mots soient prononcés d’une façon inhabituelle.
Dans notre exemple, nous avons donc le choix de dire (Je n’utilise pas ici l’écriture phonétique employée par les dictionnaires, car cela me paraît encore plus compliqué) :
« LA — KU — RI — O — ZI —TÉ — KI — VOUS — PRÈSS — È — BIEN — FORTE » (12 pieds)
ou bien :
« LA — KU — RYO — ZI —TÉ — KI — VOUS — PRÈSS — È — BIEN — FORTE » (11 pieds).
Les deux partis auront raison… à la condition d’être cohérent avec le reste du spectacle.
Si vous choisissez de toujours prononcer les 12 pieds, vous n’êtes ni plus ni moins vrai qu’un autre, simplement, vous voulez peut-être donner de l’importance à l’esthétique de la pièce, à la musicalité du texte, voire de montrer que ce ne sont que des personnages fictifs qui n’existent que le temps d’une représentation.

vérité,cohérence,alexandrin,molière

 Je réalise à peine maintenant que j’ai commencé par le mot « vérité » et que je termine par une gravure représentant Tartuffe ! Pouf ! Pouf !

21/02/2010

Petite affaire

Je vais peut-être commettre une maladresse : faire de la pub pour un texte que je n’aime pas. Mais c’est plus fort que moi. Voici ce dont il s’agit :
En m’aidant à faire des recherches sur le Tartuffe, de MOLIÈRE, ma compagne a fini par trouver la retranscription d’une interview diffusée sur Europe-1 en octobre 2007. C’était une émission de Franck FERRANT qui s’entretenait avec Denis BOISSIER. (cliquez ICI pour lire le texte complet)
Ce dernier était venu présenter le résultat d’un travail mené par lui-même et par une équipe de chercheurs, une « thèse » comme il l’indique, selon laquelle MOLIÈRE n’aurait jamais écrit une seule ligne, la plupart des œuvres ayant alors été écrites par Pierre CORNEILLE.

Ce qui me déçoit, ce n’est pas le manque d’originalité (il est de bon ton, pour se faire connaître, d’attaquer MOLIÈRE ; et il existe déjà quantité de livres sur diverses "révélations")

Je ne suis pas non plus agacé par l’idée que l’auteur du TARTUFFE est peut-être CORNEILLE.
Comme le remarque Denis BOISSIER lui-même, la notion de droit d’auteur n’existait pas encore, et MOLIÈRE comme beaucoup d’autre ne cachait pas les emprunts qu’il faisait aux autres écrivains.
Écrire et créer une pièce de théâtre, ce n’est pas du tout le même processus. Il faut l’avoir fait au moins une fois pour s’en rendre compte. Jean-Baptiste POQUELIN était le maître d’œuvre d’un travail collectif, et quels que soient ses emprunts, les pièces sont de lui.

Je ne dénigre pas le travail d’historien fait par cette équipe. La mise en perspective du XVIIème siècle avec la vie de MOLIÈRE est très intéressante. Toutefois, ce point de vue est incomplet, il manque le point de vue des gens du spectacle.

Non, ce que je regrette le plus, c’est le côté racoleur. On se croirait presque sur M6 (« restez avec nous : tout de suite le récit incroyable de… ») Le journaliste n’économise pas les adjectifs comme « incroyable », « étonnant » ou encore « excellent » ; on se demande même s’il n’invite pas un pote à l’antenne afin qu’il puisse faire la pub et trouver un éditeur. D’ailleurs, à l’en croire, personne ne veut prendre le risque d’éditer un livre aussi explosif !
Peut-être que plus simplement, un pétard mouillé ne peut pas devenir une bombe.

Car cette étude a le défaut d’enfoncer des portes ouvertes :
Denis BOISSIER nous explique qu’à diverses époques, on a dû instaurer un culte de MOLIÈRE, et donc idéaliser sa vie et sa carrière, en faire un mythe. Jusque là, tout va bien, on tend l’oreille (ou plutôt l’œil).
Mais il indique, par exemple, qu’on a réussi à faire croire que MOLIÈRE était beau ! Or, dans tous les "petits classiques" que chaque collégien a eu un jour en main, il est indiqué qu’il avait les traits épais, qu’il était courtaud et peu gracieux.
C’est tout juste si la populace ignore que MOLIÈRE fut d’abord Jean-Baptiste POQUELIN, et qu’il n’a pas crée sa troupe, mais qu’il a simplement rejoint celle de Madeleine BÉJARD.

On fait du sensationnel avec rien. Dommage, car nous avons affaire à de vrais historiens. Dommage, car ce genre de document fait appel à la joie mauvaise des auditeurs, à leur côté le plus obscur, celui qui se régale du spectaculaire et de la déchéance d’une idole plutôt que de se satisfaire d’une rectification historique.

« La joie mauvaise, c’est le bonheur des cons » disait REISER, qui avait oublié de l’être.

10/08/2008

Patrimoine

Presque huit années séparent Shakespeare in Love — réalisé par John MADDEN et sorti en France en mars 1999, de Molière — comédie de Laurent TIRARD sortie en janvier 2007.
Mais il n’y a pas que le temps qui sépare ces deux œuvres, il y a surtout le choix de “ l‘angle d‘attaque ”. En effet, bien que ces films soient tous deux une fiction sur la vie d’un grand dramaturge, le résultat est fort différent, contrairement aux apparences.

Illustre-Patrimoine-01.jpgIllustre-Patrimoine-04.jpg


Le réalisateur français a pris le parti de traiter la question des personnages. Romain DURIS incarne Molière qui se fait passer pour un certain monsieur Tartuffe, Fabrice LUCHINI joue monsieur Jourdain et Ludivine SAGNIER compose une Célimène assez peste. Aucune pièce en particulier n’est ici mise en avant, mais au contraire un florilège de scènes ou même de répliques toutes connues du grand public. En imaginant que Jean-Baptiste POQUELIN a pu s’inspirer de toutes les situations qu’il a vécues, on s’attache à l’ensemble de son œuvre.
John MADDEN, en revanche, a imaginé que c’est une relation amoureuse qui a inspiré Roméo et Juliette à son auteur. Film centré donc sur la genèse d’une seule pièce et ne comportant pas de personnages du répertoire. Jusque là, il n’y a pas de reproche à formuler, seulement des différences à pointer.

Malheureusement, malgré les louanges qui ont accompagné la sortie de Shakespeare in Love,
ce film n’est qu’une comédie sympathique, sans panache et sans génie.
Quel dommage : l’idée de faire parler SHAKESPEARE himself avec les répliques de sa future pièce ouvrait des pistes très intéressantes tant pour le scénario que pour le jeu des comédiens ; idem pour la fameuse « mise en abîme » : le spectateur du film voit des comédiens qui jouent le rôle de comédiens en train de répéter un spectacle.

Las, les émotions jouées par les acteurs lorsqu’ils sont sur scène sont les mêmes que lorsqu’ils jouent la “ vraie vie” ; et la panoplie d’humour, de rebondissements et de trouvailles déployés dans cette histoire sont marqués de l’empreinte d’Hollywood : des choses bien ficelées, de bonne facture, mais très formatées pour le grand public. Il n’y a pas de prise de risque et pas de signature particulière.

Illustre-Patrimoine-02.jpg

Le Molière de Laurent TIRARD, lui, donne vraiment l’envie de pénétrer l’âme de l’artiste, de vivre sa vie, de devenir saltimbanque à son tour. La scène où Romain DURIS/Molière imite différentes sortes de chevaux est un pur moment d’anthologie. Les sentiments exprimés par les personnages, sans édulcorant, émeuvent davantage par leur force.
Les passages amusants sont plus subtils ; un exemple : la fameuse scène de la “ Galère ” extraite des Fourberies de Scapin est ici reproduite presque intégralement ; comme dans la pièce, le vieux bourgeois se laisse extorquer 500 écus pour récupérer sa fille, qu’on lui fait croire prisonnière, otage des Turcs. Au fil des répliques, le spectateur sourit parce qu’il croit reconnaître les Fourberies de Scapin. Il pense que, comme dans la comédie de MOLIÈRE, l’argent extorqué servira les plans du héros. Mais soudain, patatras ! A peine la bourse vient-elle de se délier que la fille, censée être à bord d’une galère, apparaît avec fracas dans la maison. Le plan tombe à l’eau… et le spectateur est piégé lui aussi !
Il en est ainsi de tous les emprunts fait au texte : il sont toujours déformés, détournés, retravaillés, dédoublant ainsi le plaisir du spectateur qui s’amuse à identifier les passages qu’il a étudié au collège mais qui s’étonne également du nouvel emploi qui en est fait.

Illustre-Patrimoine-03.jpg


J’espère que l’on ne me taxera pas d’anti-américanisme ou bien de chauvinisme, mais examinons seulement les titres : le film français est désigné — tout comme son prédécesseur de 1978, le film d’Ariane MNOUCHKINE — par le nom seul de MOLIÈRE, alors que le film anglo-américain est affublé des mots « In Love » après le nom de SHAKESPEARE.
Les producteurs ont-ils craint que les spectateurs bouderaient un film qui raconte la vie d’un auteur de théâtre ? Fallait-il à tout prix dire que l’amour passerait par là pour attirer du monde dans les salles obscures ? Ce « In Love » est de trop, il est révélateur d’un manque confiance dans le public.

A la décharge des anglo-américains, le public français connaît peu le patrimoine classique anglais et bien mieux le patrimoine français. (Et vice-versa !) Nul doute que beaucoup de fines allusions utilisées dans Shakespeare in Love m’ont échappé. Je ne veux pas dire ici que le travail de John MADDEN est nul. Je suis simplement navré de constater qu’on identifie les deux films comme jumeaux. Non, Molière ne ressemble pas à Shakespeare in Love.

Je terminerai avec une opinion très personnelle :

Illustre-Patrimoine-05.jpgl’acteur Romain DURIS me fait penser, par son talent couplé à une grande maîtrise technique, par l‘étendue de son registre, à Philippe CAUBÈRE.

 

Illustre-Patrimoine-06.jpgEst-ce une coïncidence ? Philippe CAUBÈRE a joué le rôle titre dans le Molière d’Ariane MNOUCHKINE en 1978…