06/04/2013
MOLIÈRE, ÇA ROXE DU PONEY !
Au théâtre de la Tour Gorbella à Nice, la salle était pleine à craquer hier vendredi soir, lors d’une représentation des Femmes Savantes, par le Cercle Molière.
Il faut dire qu’à l’initiative de monsieur Frédéric Gentilini, professeur de lettres modernes au collège Valeri, 42 élèves étaient venus, encadrés par quelques professeurs volontaires.
Avant même de saluer le travail accompli par la troupe, je veux saluer tous ces jeunes gens, élèves de 3ème, pour la qualité de leur écoute et la bonne tenue dont ils ont su faire preuve. Certains adultes ont été moins sages.
Monsieur Gentilini m’a confié qu’il avait fait travailler d’autres pièces de Molière à ses élèves, mais pas celle-là. Il avait quand même pris le temps de la leur expliquer. Cela m’a surpris car j’ai pu constater que la plupart ne perdaient aucune des informations, pourtant distillées au travers d’un dialogue écrit en alexandrins et dans un langage précieux aujourd’hui désuet.
Les élèves, mais aussi tous les autres spectateurs présents dans la salle (qui jauge 90 places) ont pu découvrir tout d’abord le décor, composé essentiellement de six grands panneaux représentant chacun un portait en pied d’une femme connue : Eve, Cléopâtre, Jeanne d’Arc, Marie Curie, George Sand et Joséphine Baker. Ces panneaux composaient à eux six le fond de la scène, tout en y ménageant des ouvertures. En plus de cela, quelques petits éléments d’un mobilier plutôt chic, une desserte, un guéridon… L’ensemble, ainsi que les costumes, étant clairement daté des années 20. En effet, le metteur en scène Pierre Castello avait choisi de propulser la pièce à l’époque de la création du Cercle Molière, en 1922 exactement. Bonne idée car ces "années folles " ont donné à la pièce un ton pétillant qui lui allait très bien.
Les Femmes Savantes, pièce très connue de Molière, raconte l’histoire d’une famille divisée en deux clans (comme souvent dans les comédies de Molière) : d’un côté des femmes amoureuses à outrance du beau langage, des sciences et de la philosophie ; de l’autre le père, l’oncle et la bonne beaucoup plus raisonnables et cartésiens. Au milieu d’eux, Henriette aime Clitandre. Mais sa mère ne l’entend pas de cette oreille, car elle veut lui faire épouser Trissotin, un pédant qui a bien compris tout le parti qu’il pouvait tirer en s’introduisant dans cette famille. Ajoutons à cela un père qui n’ose jamais contredire sa femme et lui obéit en tout, de peur de la voir s’emporter. Mais c’est une comédie et le bon sens et la justice triompheront.
Des décors et des costumes bien réalisés, une mise en scène inventive, mais des comédiens de qualité inégale.
Dire des alexandrins est un exercice à part entière, qui demande une adresse particulière.
Ceci dit, on notera la bonne prestation de Marianne Delpont dans le rôle de Bélise, la tante aux chimères envahissantes et à l’alcoolisme discret.
Bonne prestation aussi pour Michel Blanck, qui nous montre un Chrysale pleutre et pourtant sympathique.
Enfin, bravo à Jean-Robert Thierry pour son Trissotin fourbe et creux à souhait. Comme le répétait mon professeur de théâtre, Henri Legendre : « Il faut beaucoup d’intelligence pour jouer les imbéciles ». Et il n’est pas facile de jouer un personnage excentrique et improbable sans en faire trop (car je pense que si je devais le jouer, j’en ferai beaucoup, beaucoup, rien que pour le plaisir).
Les personnages dits "secondaires" sont bien campés, ce qui n’est pas évident lorsqu’on ne dispose que d’une ou deux petites scènes.
Quelques trous de mémoire, rien de bien catastrophique, quelques placements à revoir, mais l’ensemble donne un spectacle qui ne trahit pas l’auteur et qui montre qu’on peut se divertir tout en réfléchissant.
Enfin, Pierre Castello prouve que la mise en scène permet au théâtre de se renouveler sans cesse.
Les jeunes du collège Valeri vous le diront : Molière, ça roxe du poney !
Pour le vérifier, il vous reste encore aujourd’hui samedi, à 21h00 et demain dimanche à 15h00, toujours au théâtre de la Tour Gorbella à Nice.
Tarif = 13 Euros — réduit = 10 Euros
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18/02/2011
Le jeu de la vérité
Nous n’avons pas répété mardi 15 dernier, la salle n’était pas disponible ; c’est un petit tracas que rencontrent parfois ceux qui n’ont pas un local bien à eux.
A la place, je reviens sur un sujet que j’évoquais il y a quelques mois : la question du vrai au théâtre (cliquez ICI pour relire l’article). Je soulignais entre autre que chaque spectateur normalement constitué sait que tout ce qu’il verra durant le spectacle est faux, même s’il a devant lui le meilleur comédien du monde dans une mise en scène hyper réaliste.
Toutefois, cette remarque ne doit pas être la porte ouverte au n’importe quoi. En effet, si la réalité et le naturel ne sont pas les buts ultimes du théâtre, beaucoup de metteurs en scène restent exigeants sur la justesse des émotions ou de l’intonation, par souci de cohérence.
La cohérence est plus indispensable que le vrai au théâtre. Le plus improbable des personnages peut être très crédible, s’il réagit d’une façon juste par rapport à ce que l’on sait déjà de lui.
Je citerai un exemple qui m’a déjà servi ailleurs : vers la fin des Fourberies de Scapin, alors que le dénouement devient carrément invraisemblable, MOLIÈRE en rajoute une couche en faisant dire à Hyacinte : « Ô Ciel ! que d'aventures extraordinaires ! » Il n’est pas nécessaire que la comédienne qui joue le rôle ait l’air vraiment convaincue qu’il s’agit d’une aventure extraordinaire (ce n’est pas obligé, mais ce n’est pas interdit non plus) elle peut employer un ton ironique, montrer une explosion de joie ou danser et chanter… du moment que le public, qui a eu le temps de faire connaissance avec ce personnage, se dise « sacrée Hyacinte… » ou bien que cela aille dans le sens de la tonalité générale (façon Commedia dell’Arte, univers clownesque, intermède musical, comédie bourgeoise…). En revanche, si le metteur en scène demande à la comédienne de jouer, mettons, la folie douce, elle doit le faire à fond, "pour de vrai", que cela soit plausible ou non.
Restons en compagnie de MOLIÈRE et prenons comme deuxième exemple cet alexandrin extrait du Tartuffe : « La curiosité qui vous presse est bien forte » (Orgon, scène 2, acte II)
Les alexandrins sont, faut-il le rappeler, des vers de 12 pieds. Or, les auteurs se permettent parfois de petites entorses à cette métrique : certains vers ne comportent que 11 syllabes, mais l’une d’entre elle est décomposée en deux. C’est une convention mise en place depuis fort longtemps et acceptée même par les plus classiques. Elle peut s’appliquer à des mots contenant le son « YEU » par exemple, comme « curieux » qui se prononce d’ordinaire en deux syllabes KU — RYEU mais qui, en cas de besoin, comptera pour trois syllabes : KU — RI — EU.
Et c’est là l’origine d’un vaste débat (exagéré à mon sens). Il y a les partisans du "naturel" à tout prix, et qui recommandent donc de prononcer chaque mots comme dans la vie de tous les jours, et tant pis pour la métrique ; puis ceux qui s’attachent au rythme, à la musicalité ou parfois à la tradition, et qui souhaitent que chaque pied soit conservé, quitte à ce que certains mots soient prononcés d’une façon inhabituelle.
Dans notre exemple, nous avons donc le choix de dire (Je n’utilise pas ici l’écriture phonétique employée par les dictionnaires, car cela me paraît encore plus compliqué) :
« LA — KU — RI — O — ZI —TÉ — KI — VOUS — PRÈSS — È — BIEN — FORTE » (12 pieds)
ou bien :
« LA — KU — RYO — ZI —TÉ — KI — VOUS — PRÈSS — È — BIEN — FORTE » (11 pieds).
Les deux partis auront raison… à la condition d’être cohérent avec le reste du spectacle.
Si vous choisissez de toujours prononcer les 12 pieds, vous n’êtes ni plus ni moins vrai qu’un autre, simplement, vous voulez peut-être donner de l’importance à l’esthétique de la pièce, à la musicalité du texte, voire de montrer que ce ne sont que des personnages fictifs qui n’existent que le temps d’une représentation.
Je réalise à peine maintenant que j’ai commencé par le mot « vérité » et que je termine par une gravure représentant Tartuffe ! Pouf ! Pouf !
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