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14/10/2009

On a brisé le veau d’or

J’ai assisté hier soir à une représentation du Roman d’un Trader au TNN. Je n’aurai pas besoin de faire un compte rendu de ce spectacle, les créations du Théâtre National de Nice qui ouvrent la saison sont toujours largement relayées par les média.

Je me contenterai de signaler la bonne performance de  Lorànt DEUTSCH, qui incarne le trader, ainsi que celle de Bernard-Pierre DONNADIEU (qui cependant campe un peu trop souvent l’homme de pouvoir et d’argent, alors que son talent lui permettrai de varier davantage les rôles).
Malgré les comédiens, la pièce était un peu trop fade, par manque de rythme parfois, et à cause d’un texte et de situations trop convenus.
Un signe qui ne trompe pas et que l’on retrouve souvent dans les productions de Daniel BENOIN : l’effet le plus efficace, j’allais dire le plus saisissant, est obtenu à l’aide d’un simple fauteuil de bureau à roulette ; toute la grosse machinerie théâtrale, une fois de plus, n’étant là que pour masquer le vide de certaines scènes, sans apporter grand-chose.
Dommage, car tous ces écrans géants et ces décors qui s’escamotent sont ma foi bien réalisés, et les techniciens ont fait du bon travail, mais les techniciens seulement, pas le créateur.
Je ne regrette pas d’avoir pris le tramway ainsi que deux heures de mon temps, mais je suis un peu resté sur ma faim.

 

Illustre-Le Veau d-Or-01.jpg

Je pensais même ne rien écrire sur ce spectacle lorsque s’est produit un petit incident, vers la fin de la représentation.
Dans la pièce, la femme du directeur de banque veut obtenir une sculpture d’un artiste en vogue, intitulée « le Veau d’Or » et coûtant la bagatelle de 2 000 000 d’euros. Cette statuette est apportée sur la scène dans un sac et, au moment de la manipuler, le comédien s’est aperçu qu’un morceau s’en était détaché. Tout le monde dans la salle l’a remarqué car cela ne pouvait manifestement pas être une chose prévue dans le scénario.
Malgré tout, chaque artiste a immédiatement intégré cette donnée dans son jeu et a fait "comme si". Gestes adaptés et petites remarques ajoutées au texte original ; quelques mots seulement, improvisés, notamment par Bernard-Pierre DONNADIEU, et parfaitement joués. Ils ont montré qu’ils étaient de vrais comédiens, qu’ils étaient capables de tout et que tout pouvait arriver, le spectacle continuerait.
La salle presque toute entière a témoigné par un rire, ou plutôt une rumeur, sa joie d’assister à cet imprévu. Signifiant presque aux comédiens : « on a bien vu qu’une chose ne s’est pas passée comme vous l’auriez voulu, mais vous avez continué à dérouler l’histoire pour nous et ça marche, nous sommes toujours embarqué avec vous ».

Car enfin : même si, bouleversé, vous pleurez toutes les larmes de votre corps et que l’acteur le plus génial du monde est en train de mourir sur scène, jamais vous ne vous lèverez pour lui porter assistance, parce qu’au fond de vous, une petite lumière de conscience vous rappelle que tous ça est irréel. Beau, important, nécessaire, créatif, éloquent… mais irréel. Le théâtre donne à voir beaucoup de choses, on peut y parler des sujets les plus importants pour l’humanité, y montrer les scènes les plus drôles comme les plus insoutenables, ON SAIT TOUS QUE C’EST POUR DU FAUX !
Le public, en venant louer sa place ce soir là, est parfaitement d’accord avec ce principe. Il va recevoir, il va donner parfois, on va communier, mais les situations et les personnages montrés sur la scène n’existent pas — même lorsque l’histoire est inspirée de faits réels.

Ce que le public ne supporte pas en revanche, c’est que l’on vienne briser son rêve. Et hier soir, si on a brisé ce Veau d’Or, on n’a pas brisé le rêve des spectateurs présents dans la salle.
Parce qu’on a improvisé. Oh, pas beaucoup et la catastrophe n’était pas si grande. Pourtant, je tenais à signaler ce détail car j’ai pu constater que beaucoup de comédiennes et de comédiens professionnels n’ont pas la culture de l’improvisation. Lorsque survient un incident pendant la représentation, les mots viennent, mais la puissance vocale baisse, le ton n’est plus aussi assuré, on bredouille, les comédiens parfois même se contredisent.
(C’est une des règles de base de l’improvisation : il ne faut JAMAIS aller contre ce qui a déjà été établi par les autres partenaires. Un exemple : vous aviez décidé de vous appeler Eustache dans la scène qui doit être jouée, mais un autre comédien s’adresse à vous et vous appelle Jean-françois. Surtout, n’allez pas lui dire : « Oh ! mais tu m’as appelé Jean-françois ? Tu sais très bien que je m’appelle Eustache ! » car là, plus personne dans l’assistance ne croit aux personnages ni à l’histoire, c’est la fin du rêve et le public s’en va.)

La virtuosité fait partie de l’arsenal déployé pour bâtir une œuvre théâtrale. Encore une fois, le public SAIT QUE C’EST POUR DU FAUX, alors il faut bien lui montrer quelque chose de sublimé, de parfait, de beau, de la bonne ouvrage. Et lorsque le Veau d’Or vous parvient en deux morceaux au lieu d’un, on continue de garder le même volume sonore, on continue d’avoir une voix claire, une diction précise, on se reconnecte le plus vite possible sur le texte qui doit suivre et même, on prend plaisir à improviser. Le rêve ne sera pas interrompu.

Commentaires

Très content que tu aies saisi cette occasion de nous expliquer le phénomène. Très intéressant.

(J'étais en 4ème. Après-midi scolaire au Théâtre Montansier à Versailles. "Le Cid".
Dora Doll (sauf erreur) qui jouait l'Infante s'arrête dans son texte et fait la morale à ces sales gosses qui balançaient des papiers sur la scène. Elle finit en disant "maintenant nous allons reprendre pour ceux que ça intéresse". Michel Le Royer/Don Rodrigue (sauf erreur), un peu déstabilisé eut du mal à enchainer. J'ai pensé qu'elle avait eut raison. Mais le charme était coupé. La preuve, presque 40 ans après je m'en souviens)

Écrit par : Claudio | 15/10/2009

Le respect du travail des comédiens et le silence du public qui en résulte font partie d’un comportement relativement récent dans l’histoire du théâtre. (On pense au temps de Molière, mais même la fin du XIXe siècle voyait des "parterres" animés et indisciplinés.)
Ceci dit, même de nos jours il est courageux d’aller affronter le plus mauvais public qui soit : des spectateurs captifs, qui pour la plupart n’ont pas choisit d’être là, et qui plus est ont atteint l’âge dit "bête".
Mais il y a toujours des comédiens qui prennent leur bâton de pèlerin pour tenter de donner le goût du Spectacle Vivant aux plus jeunes.

S’agissant d’un comédien confirmé tel que Michel Le Royer, je suis surpris de son manque de concentration. Mais bon, ferais-je mieux à sa place ? Il est toujours plus facile d’improviser dans un spectacle comique que dans une tragédie classique.
Il m’est arrivé de jouer dans de telles conditions, au Théâtre de l’Alphabet. Mais son directeur, Henri LEGENDRE, prenait toujours la précaution de faire un petit discours préparatoire afin de mettre cette assemblée d’adolescents bouillonnants dans de meilleures dispositions.

Écrit par : L U C | 16/10/2009

Bonsoir LUC
Tu nous enchantes toujours et c'est un grand plaisir d'apprendre ce qui se déroule sur scène et dans la salle, alors que je n'ai été spectateur de théâtre que deux ou trois fois.
J'ai osé transmettre l'adresse de ton blog à Fauvette qui elle est une spectatrice assidue du spectacle vivant.
http://www.fauvetta.net/archive/2009/10/12/deux-comediens-exceptionnels.html#comments
Peut être y aura-t-il quelques échanges ?
C'est aussi l'occasion de repenser aux moments que nous avons partagé et j'ai très envie de balade en votre compagnie, chers amis.

Écrit par : christian | 16/10/2009

Merci Christian pour ces paroles de soutien et pour cette " pub " que tu veux bien faire à ce blog.
Je suis allé rendre visite au blog de Fauvette, et j’ai lu son article relatant sa soirée au théâtre.
Le paragraphe que je retiendrai est celui-ci :
« Je ne raffole pas de Marguerite Duras, mais ce texte et surtout l'interprétation de la grande Dominique Blanc m'ont entraînée loin, bouleversée mais aussi fait beaucoup de bien. C'est beau, vraiment beau. Je crois que longtemps je vais penser à cet après-midi là, à ce texte, à toutes ces souffrances. »
Il me semble qu’elle dit ici quelque chose d’important : voyez quelle est la responsabilité du comédien ! Et si Dominique Blanc n’avait pas été excellente cette fois-ci ? Qu’auraient ressenti, qu’auraient pensé toutes les personnes présentes ce soir là ?
Merci pour ce lien.

À moi aussi elles me manquent, les balades en compagnie des amis blogueurs. Mais même les visites sur vos blogs me manquent ! Car, une fois de plus, je manque de temps : j’ai emménagé dans l’appartement que nous avons acheté, Valérie et moi, et il faut gratter, peindre, ranger… Et depuis quelques jours, nous n’avons même plus internet à la maison, je dois écrire depuis mon lieu de travail. Mais bon, cet hiver verra la situation redevenir calme.
Merci.

Écrit par : L U C | 19/10/2009

Bon sang, je n'avais pas vu le commentaire que tu as laissé sur le blog de Fauvette, Christian !
Tu sais très bien que tu peux laisser ici tous les commentaires que tu voudras bien écrire.
D'une part parce que je ne suis pas certain que tu sois aussi ignare que tu nous le dis ;
D'autre part parce que le Spectacle Vivant s'adresse à tout le monde, et que les gens de la scène ont besoin d'un retour, le plus possible.
Ton avis vaut bien celui d'un autre il me semble. Il est unique, il doit être écouté. Après, chacun en fera ce qu'il voudra.
Souvent, les professeurs de théâtre, les metteurs en scène et les directeurs de salle rappellent aux comédiens qu'il n'y a pas de mauvais public, il n'y a que de mauvais spectacles. (Il peut y avoir des publics " difficiles ", comme nous le décrit Claudio dans le premier commentaire de cette note, mais l'adaptation fait partie du travail du comédien.)

Écrit par : L U C | 19/10/2009

Je suis contente que Christian m'ait indiqué votre blog. Oui j'aime beaucoup aller au théâtre, en parler et essayer de partager les moments vécus.
Mais je n'ai pas comme vous les connaissances techniques du métier !

Bonne soirée, à bientôt !

Écrit par : Fauvette | 19/10/2009

Je te félicite pour ton blog, toujours très bien documenté et on sent le connaisseur.
Moi je ne fais que réagir aux spectacles, et le jeu des comédiens comme tu l as décrit pour le Roman d'un Trader est réussi...

Je suis allé voir So Sweet Swift j'ai beaucoupo aimé la pièce, la musqiue, les comédiens, la mise en scène ...

Mias je ne suis qu'un spectateur lambda, et toi si tu l'as vu, qu'en penses-tu ?

Écrit par : le nicois civique | 20/10/2009

Merci pour la visite. Je ne suis pas allé voir " So Sweet Swift ", je n'en ai pas eu le temps.
Car je redeviens, lorsque je ne suis pas moi-même sur les planches, un spectateur lambda, avec un emploi du temps très lambda, et un porte-monnaie encore plus lambda !
Plus sérieusement, je répondrai à Fauvette et à toi ce que j'ai répondu à Christian : bien sûr qu'il y a des spectateurs plus " averti " que d'autres, et cela confère à leur jugement une valeur particulière, mais pas supérieure !
Peinture, littérature, comédie... toutes les formes d'art ont leur public " cultivés ", les artistes le savent, et c'est aussi à eux qu'ils s'adressent parfois, cela permet d'explorer toutes les voies ; mais s'ils s'adressent parfois à eux, ils s'adressent plus souvent à l'ensemble du public - ectoplasme imprévisible, changeant et difficile à décrire.

Écrit par : L U C | 23/10/2009

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