18/02/2011
Le jeu de la vérité
Nous n’avons pas répété mardi 15 dernier, la salle n’était pas disponible ; c’est un petit tracas que rencontrent parfois ceux qui n’ont pas un local bien à eux.
A la place, je reviens sur un sujet que j’évoquais il y a quelques mois : la question du vrai au théâtre (cliquez ICI pour relire l’article). Je soulignais entre autre que chaque spectateur normalement constitué sait que tout ce qu’il verra durant le spectacle est faux, même s’il a devant lui le meilleur comédien du monde dans une mise en scène hyper réaliste.
Toutefois, cette remarque ne doit pas être la porte ouverte au n’importe quoi. En effet, si la réalité et le naturel ne sont pas les buts ultimes du théâtre, beaucoup de metteurs en scène restent exigeants sur la justesse des émotions ou de l’intonation, par souci de cohérence.
La cohérence est plus indispensable que le vrai au théâtre. Le plus improbable des personnages peut être très crédible, s’il réagit d’une façon juste par rapport à ce que l’on sait déjà de lui.
Je citerai un exemple qui m’a déjà servi ailleurs : vers la fin des Fourberies de Scapin, alors que le dénouement devient carrément invraisemblable, MOLIÈRE en rajoute une couche en faisant dire à Hyacinte : « Ô Ciel ! que d'aventures extraordinaires ! » Il n’est pas nécessaire que la comédienne qui joue le rôle ait l’air vraiment convaincue qu’il s’agit d’une aventure extraordinaire (ce n’est pas obligé, mais ce n’est pas interdit non plus) elle peut employer un ton ironique, montrer une explosion de joie ou danser et chanter… du moment que le public, qui a eu le temps de faire connaissance avec ce personnage, se dise « sacrée Hyacinte… » ou bien que cela aille dans le sens de la tonalité générale (façon Commedia dell’Arte, univers clownesque, intermède musical, comédie bourgeoise…). En revanche, si le metteur en scène demande à la comédienne de jouer, mettons, la folie douce, elle doit le faire à fond, "pour de vrai", que cela soit plausible ou non.
Restons en compagnie de MOLIÈRE et prenons comme deuxième exemple cet alexandrin extrait du Tartuffe : « La curiosité qui vous presse est bien forte » (Orgon, scène 2, acte II)
Les alexandrins sont, faut-il le rappeler, des vers de 12 pieds. Or, les auteurs se permettent parfois de petites entorses à cette métrique : certains vers ne comportent que 11 syllabes, mais l’une d’entre elle est décomposée en deux. C’est une convention mise en place depuis fort longtemps et acceptée même par les plus classiques. Elle peut s’appliquer à des mots contenant le son « YEU » par exemple, comme « curieux » qui se prononce d’ordinaire en deux syllabes KU — RYEU mais qui, en cas de besoin, comptera pour trois syllabes : KU — RI — EU.
Et c’est là l’origine d’un vaste débat (exagéré à mon sens). Il y a les partisans du "naturel" à tout prix, et qui recommandent donc de prononcer chaque mots comme dans la vie de tous les jours, et tant pis pour la métrique ; puis ceux qui s’attachent au rythme, à la musicalité ou parfois à la tradition, et qui souhaitent que chaque pied soit conservé, quitte à ce que certains mots soient prononcés d’une façon inhabituelle.
Dans notre exemple, nous avons donc le choix de dire (Je n’utilise pas ici l’écriture phonétique employée par les dictionnaires, car cela me paraît encore plus compliqué) :
« LA — KU — RI — O — ZI —TÉ — KI — VOUS — PRÈSS — È — BIEN — FORTE » (12 pieds)
ou bien :
« LA — KU — RYO — ZI —TÉ — KI — VOUS — PRÈSS — È — BIEN — FORTE » (11 pieds).
Les deux partis auront raison… à la condition d’être cohérent avec le reste du spectacle.
Si vous choisissez de toujours prononcer les 12 pieds, vous n’êtes ni plus ni moins vrai qu’un autre, simplement, vous voulez peut-être donner de l’importance à l’esthétique de la pièce, à la musicalité du texte, voire de montrer que ce ne sont que des personnages fictifs qui n’existent que le temps d’une représentation.
Je réalise à peine maintenant que j’ai commencé par le mot « vérité » et que je termine par une gravure représentant Tartuffe ! Pouf ! Pouf !
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