07/12/2008
L'Incendie de l'Opéra-Comique
L’incendie qui a détruit de fond en comble le théâtre de l’Opéra-Comique s’est déclaré, pendant le premier acte de Mignon, dans les frises de la scène. Une herse de gaz a mis le feu à un décor et bientôt des flammèches et des débris enflammés tombèrent au milieu des artistes et des figurants. Malgré les avertissements de MM. Bernard, régisseur de la scène, Taskin et Soulacroix, qui invitaient le public à conserver son sang-froid, les spectateurs affolés se ruèrent dans les couloirs trop étroits, s’écrasant les uns les autres pour gagner plus vite les portes de sortie. Au foyer et dans les loges des artistes, les acteurs dans le costume de leurs rôles, les figurantes à demi-vêtues, restaient immobiles, paralysées par l’épouvante. La plupart suivirent machinalement ceux qui s’enfuyaient et, dans la rue Favart, au milieu de la fumée noire que l’éclair lumineux des flammèches traversait par instants, barytons, ténors, choristes, danseuses, figurantes couraient à la débandade, se réfugiant dans les cafés et dans les maisons voisines. Aux Galeries supérieures on entendait des cris de désespoir, des appels lamentables auxquels répondaient les voix de la foule qui conjurait ces malheureux d’attendre l’arrivée des engins de sauvetage. Sur les balcons des deuxièmes galeries, sur le rebord de pierre que surmonte la toiture, des spectateurs, des ouvreuses, des habilleuses couraient ça et là avec des gestes de désespoir.
Un roulement de voiture se fait entendre. Ce sont des pompiers qui accourent au pas de charge dans la rue Favart avec une pompe à bras et quelques échelles. Les cris des malheureux redoublent. On applique les échelles. A l’instant où le crampon de fer s’accroche à la marquise qui donne sur la rue Favart, un homme éperdu se jette dans le vide. Le corps rebondit sur la marquise et se brise sur la chaussée. Quelques instants après, une autre forme humaine traverse la fumée et s’écrase sur le trottoir, à l’angle de la place Boiëldieu. C’est un figurant du théâtre, nommé Charbonnel. Deux femmes, une habilleuse et une spectatrice, courent sur la corniche, à demi-asphyxiées, les cheveux épars, les vêtements carbonisés, au-dessous de la toiture d’où jaillissent d’épaisses gerbes de flammes, au milieu des flots de fumée. Les pompiers qui sont accourus de tous les postes de Paris montent sur leurs échelles. Ils descendent sous leurs bras ces pauvres femmes qui expirent en entrant dans la pharmacie Mialhe, sur la place Boiëldieu.
Vous aurez peut-être remarqué un ton désuet dans la narration de ce tragique incendie : en effet, il s’agit de faits qui se sont produits à Paris en 1887, et relatés dans un journal intitulé « l’Illustration », dans un article dont j’ai repris le titre. Quelques rares fautes d’orthographe ou bien des usages oubliés, j’ai tenu à restituer le texte dans son intégralité et la façon dont un journal équivalent à notre « Paris-Match » d’aujourd’hui s’y prenait pour narrer un tel événement. Voici la suite de ce fait-divers dramatique. On constatera qu’en effet, TF1 ou M6 n’ont rien inventé dans l’art de divertir l’auditoire avec le malheur des uns.
Tous les plombs ont été coupés par une équipe de plombiers : une explosion de gaz n’est plus à craindre. Vers onze heures, deux craquements suivis d’un bruit sourd. C’est la toiture qui s’effondre. Le magasin des costumes, situé à la hauteur des dernières galeries s’effondre, jetant dans l’air des flammes multicolores qui semblent voltiger comme des feux follets. Puis la bibliothèque et les archives, avec les partitions manuscrites et les orchestrations d’opéras dont un certain nombre a pu être heureusement sauvé. Les vitrages de la terrasse du foyer, avec leurs stores blancs, à travers lesquels on aperçoit l’intérieur de la salle qui s’ouvre comme un brasier immense, sont brisés à coups de pierres et de revolvers.
Des échelles dressées sur la place, des balcons des maisons voisines, les pompes projettent leurs gerbes d’eau à travers toutes les brêches pratiquées par le feu. Une de ces échelles, ayant sa base milieu de la place, se projette presque verticalement en l’air, sans point d’appui. A cheval sur les derniers échelons, un pompier est à l’extrémité, suspendu dans le vide comme un clown au haut d’un mât et de là, il projette l’eau amenée par le tuyau qui serpente le long de l’échelle. Ce spectacle est vertigineux et malgré l’émotion poignante qui oppresse tous les assistants, des applaudissements éclatent dans la foule.
A cet instant, alors qu’il semblait que toutes les personnes restées dans la salle dussent être depuis longtemps carbonisées ou asphyxiées, des appels déchirants retentissent dans la rue Marivaux, sur le rebord de la corniche supérieure. Deux spectateurs sont là appelant les pompiers. Leurs cris sont entendus. Un sauvetage aux péripéties dramatiques, qui fait le sujet de notre première gravure, est opéré par les pompiers qui, avec un courage et un sang froid presque surhumains, dressent une échelle et, au milieu des décombres enflammés qui s’écroulent, atteignent ce dernier refuge. Des deux spectateurs, l’homme soutenu par les pompiers descend par l’échelle. La femme trop faible et trop lourde est solidement attachée à une corde et les sauveteurs, accroupis sur la corniche, penchés dans le vide, descendent ce fardeau humain, que les pompiers groupés dans la rue Marivaux reçoivent dans leurs bras. Lorsque les deux malheureux sont emportés, sains et saufs, dans un café voisin, la foule acclame les auteurs de cet acte d’héroïsme.
Notre gravure représente un des pompiers qui a opéré ce sauvetage. Harassé par trois heures de travail, les vêtements trempés par l’eau qui s’éparpille et retombe en pluie épaisse, il grimpe à l’échelle, étreignant les barreaux d’une main crispée. Autour de lui les poutres s’écroulent, les flammèches voltigent, l’aveuglant de leur clarté crue. Il reste indifférent et calme au milieu des dangers qui l’environnent. Il ne voit que le but à atteindre : la corniche étroite et brûlante où deux malheureux se tordent dans les angoisses du désespoir. Il faut les sauver avant que la toiture s’effondre et qu’ils soient entraînés dans la chute des matériaux qui s’écroulent dans le brasier béant qui flambe, entre les quatre murs de pierre. Et le nom de ce pompier restera inconnu, comme celui de ses compagnons d’héroïsme. Lorsque leurs périlleux travaux seront terminés et que ces braves soldats rentreront dans leur caserne, nul n’ira trouver son chef et réclamer la récompense de son dévouement. Ils abdiquent leur personnalité; ils ne connaissent point l’égoïsme de la gloire.
Cependant, l’homme et la femme sauvés sous la toiture de la rue Marivaux étaient les derniers qui devaient sortir, vivants, de la salle Favart. A minuit, l’incendie avait accompli son œuvre de dévastation.
Les gerbes de flammes diminuaient d’intensité; une fumée âcre saisissait à la gorge les magistrats et les spectateurs qui stationnaient sur la place Boiëldieu. Là étaient groupés, pêle-mêle, MM. Goblet, président du conseil, Gragnon, préfet de police, les généraux Saussier, Thibaudin, Galliffet; M. Rouche, procureur-général, Renard, procureur de la République, Guillot, juge d’instruction, le colonel Lichtenstein, un grand nombre de commissaires de police de Paris et les officiers de paix de tous les arrondissements. Des détachements de ligne, des gardes de Paris et des escouades d’agents maintenaient la foule qui se ruait et s’entassait sur le boulevard des Italiens et dans les rues adjacentes à la salle Favart.
M. Carvalho, directeur de l’Opéra-Comique, est très entouré. Il ne peut maîtriser son émotion et sanglotte devant son théâtre qui s’écroule. Il nous fait savoir que de nombreuses orchestrations, les décors et les costumes de quatre ouvrages qui allaient être prochainement représentés, sont irrévocablement perdus. A voix basse, au milieu d’un groupe de magistrats, il donne des détails terribles sur ce qu’il a vu dans la salle. Lorsque la panique devint générale, une cohue et une poussée indescriptible se produisirent dans les couloirs des galeries supérieures. On s’écrasait près des portes de sortie. Il y avait près de chaque issue des entassements de spectateurs. Parmi les habilleuses du magasin de costumes, situé dans les combles, et les figurants dont les loges sont placées aux étages supérieurs, il y aura — dit M. Carvalho — de nombreuses victimes.
Ces tristes prévisions semblent se réaliser. Le déblaiement commencé, dès l’aurore, amène à chaque minute la découverte de nouveaux cadavres. A travers la foule anxieuse qui stationne sur le boulevard, des civières passent. Sous la toile qui les recouvre, on devine des cadavres consumés, méconnaissables, ou bien des asphyxiés, avec, sur leurs lèvres, une écume blanche et un rictus grimaçant. Tous les postes de police environnants reçoivent ces funèbres convois que les curieux escortent, tremblant peut-être de reconnaître un des leurs dans la nouvelle victime. La foule entoure les rares privilégiés pour lesquels s’entr’ouvre la barrière infranchissable et qui viennent de contempler l’amas de décombres qui fut la salle Favart. Et les détails qu’on a pu obtenir, à force de questions, circulent, grossis, exagérés.
A midi, MM. Gragnon, préfet de police, le colonel Lichtenstein et le colonel des pompiers montent par une échelle jusqu’au faîte de la façade de la rue Boiëldieu. Ils aperçoivent trois cadavres, étendus près d’une porte de sortie. Dans la salle, les décombres s’élèvent jusqu’à la hauteur du premier étage. C’est sans doute sous cet amas de débris que gisent les corps carbonisés des spectateurs et des ouvreuses des galeries supérieures, écrasés et entraînés par la chute de la toiture.
A une heure, on découvre, à l’angle du balcon extérieur des deuxièmes galeries, un homme et une femme — la femme en toilette de bal — étroitement enlacés. Ils ont péri, asphyxiés, n’ayant plus la force de se dresser et d’appeler au secours.
Dans l’après-midi, les lugubres découvertes se multiplient. Dans un couloir, on retire dix-huit cadavres, entassés, avec les membres enchevêtrés. Sur ces dix-huit morts, il y a dix-sept femmes.
Et l’incendie continue, couvant sous les amas de débris que fouillent la pioche et le pic des pompiers. Par intervalles, on entend des craquements : c’est une poutre qui s’effondre, rongée par le feu, ou une cloison que les pompiers abattent pour se frayer un chemin à travers les décombres. Les fourgons des pompes funèbres stationnent devant la rue Favart, attendant les débris humains qu’ils doivent transporter à la Morgue. De tous côtés, des hommes et des femmes éplorés accourent, réclamant des parents, des amis. Durant plusieurs jours encore, ces scènes lamentables continueront. Et nous n’assisterons qu’aux manifestations publiques de douleur. Combien doivent être atroces les afflictions, les angoisses, les désespoirs intimes que l’on ne voit pas !
Le style racoleur du journal ne doit pas faire oublier que cela est bel et bien arrivé. Les salles d’aujourd’hui sont heureusement beaucoup mieux équipées. (Le prix du rideau ignifugé est à ce titre significatif…)
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18/11/2008
LA DIACOSMIE, C'EST ÉNORME !
La plaquette présentant C’est pas Classique, manifestation organisée par le Conseil Général des Alpes-Maritimes, indiquait qu’on pouvait également visiter la Diacosmie de l’opéra de Nice.
La Diacosmie est l’endroit où se préparent les opéras. Un seul et immense bâtiment situé 8, avenue Claude Debussy à Nice (peu après la salle Nikaïa, sur la droite).
Je compose le numéro vert qui est mentionné. Une voix accueillante m’explique que je dois réserver pour l’une des trois séances prévues puis me demande mon nom, prénom, numéro de téléphone ainsi que mon adresse ; ce n'est pas tout, je dois également déclarer quelles sont les deux personnes qui m'accompagneront !
Je m'exécute. J'ai alors le choix entre la visite de 10h00, 11h00 et midi. Je choisis celle de midi. On m'apprend qu'il faudra nous présenter une heure avant, soit 11h00 du matin, le vendredi 31 octobre.
Le jour dit, je m'impatiente et bouscule mon entourage : je n'aime pas être en retard. Nous arrivons devant la loge d'entrée à 11h05 ! Mais l'hôtesse qui nous accueille s'étonne et nous sourit en annonçant qu'il ne fallait pas s'inquiéter : sûrement une lubie des p’tits gars du Conseil Général. Pas besoin d'être là une heure avant ! Et mieux, puisque le groupe de onze heures n'est pas complet, nous pouvons en faire partie. La visite démarre tout de suite.
Nous sommes accueillis par un des guides chargés de nous piloter dans cet immense espace dédié à la préparation des opéras. Celui-ci a tout d'abord commencé par présenter cette puissante structure (qui est municipale, rappelons-le) :
La Diacosmie regroupe plusieurs ateliers. Ce sont des ateliers de peinture et des ateliers de construction. Ensuite, nous avons un atelier de fabrication de costumes ; des couturières, une dizaine de couturières sont ici, en permanence, pour faire des costumes.
Ensuite, répétition ! Grande mission "répétition". Alors pour les répétitions, nous avons deux grandes salles : une salle qui est la réplique en acoustique et en surface de l'auditorium Apollon à Acropolis. Cette salle est... a les mêmes dimensions que la scène Apollon : 40 mètres je crois sur… 10 mètres de large.
Actuellement, une petite parenthèse, vous ne verrez pas grand monde. Pourquoi : parce qu'il y a une partie qui est en train de préparer C'est pas Classique pour dimanche à Acropolis, c'est à dire monter des décors ; ensuite, hier soir, nous avons eu spectacle ― nous avons spectacle tous les soirs puisque nous préparons Macbeth pour la première de ce soir. Donc les personnes terminent à minuit, une heure du matin. Donc ils vont recommencer cet après-midi à travailler. Alors, vous n'aurez pas grand monde, hein. Mais c'est pas bien méchant : il y a les danseurs, vous aurez juste les danseurs et vous verrez les ateliers. Voilà pour la petite parenthèse.
Donc, après, pour les répétitions, nous avons une salle qui peut contenir jusqu'à 120 musiciens ; une salle qui est réservée pour les chœurs aussi. Les chœurs sont une quarantaine, ce sont des professionnels de la ville, toujours ; ce sont des contractuels qui sont là, qui passent tous les trois ans des auditions pour la voix.
Ensuite nous avons répétition "danseurs", nous avons 30 danseurs qui font partie aussi du personnel municipal, que vous allez voir évoluer tout à l'heure. Voilà en ce qui concerne les répétitions.
Ensuite, notre dernière mission, c'est le stockage. Alors le stockage vous le voyez là, hein : tous les alvéoles sont remplis de décors ; les décors que nous sommes obligés de garder cinq ans, puisqu'il y a un droit moral et artistique de l'artiste qui l'a crée. Au bout de cinq ans, ces décors reviennent dans le giron de la mairie. Puisque c'est de l'argent public, donc ils reviennent à la mairie et à ce moment-là on prend une décision : soit on le détruit, avec une délibération du Conseil Municipal ou alors il est loué ou vendu à l'extérieur.
Ensuite, en stockage, nous avons en sous-sol une salle qui peut contenir jusqu'à 10 000 costumes ― actuellement il y en a 7000. Donc, vous pourrez évoluer dans les allées, voir les différents costumes des différents spectacles.
Ensuite, en stockage, nous avons aussi les accessoires ― puisqu'il nous faut énormément d'accessoires pour aménager les scènes, pour aménager les spectacles, de la valise au chandelier... à tout ce qui s'ensuit.
Ensuite nous avons aussi un stockage de meubles ; tout ce qui est pendrillon, tout ce qui est fauteuil, chaise, tout ça est en stockage.
Voilà en gros pour la Diacosmie. Quand nous évoluons pour un spectacle, nous sommes environs ici 300 personnes ; à l'Opéra de Nice c'est 400 personnes : il y a environs une centaine de personnes en service administratif et tout le reste est en technique, aussi bien machiniste, éclairagiste, menuisier… tout ce qui est métier du spectacle.
En gros, il vous faut une heure et demi pour visiter la Diacosmie. Anne-Marie va vous guider dans cette cathédrale ― vous verrez c'est une véritable cathédrale : on a l'impression de voir un hangar à l'extérieur, mais à l'intérieur, je vous assure que ça vaut vraiment le coup de le voir.
Notre accueillante Anne-Marie a donc pris notre groupe en charge, et commencé la visite proprement dite.
Depuis l'entrée du « hangar », nous avons commencé à déambuler dans une longue et très haute allée (80 m. de long, 5 m. de large et 7,50 m. de haut !) bordée d'un côté par un bric-à-brac de décors de scène (puits, fontaines, remparts, constructions de toutes sortes…) et de l'autre par des machines, des bennes et des quais de déchargement.
Tout en marchant, notre hôtesse faisait déjà des commentaires et répondait à nos questions :
Vous avez d’anciens décors qu’on garde chaque fois et puis soit qui resservent au même opéra, au même ballet, soit resservent à autre chose, soit sont cassés au bout d’un certain temps. Parfois, il y a des décors qui, lorsqu’ils reviennent de l’opéra, sont très abîmés.
Est-ce qu’il y a des structures extérieures qui, de façon régulière, récupèrent d’anciens décors pour d’autres spectacles, d’autres compagnies ? Des personnes habituées qui, sachant que ces décors sont détruits au bout de 5 ans, viennent régulièrement les récupérer ?
Non, jamais. Mais c’est possible, il faut faire une demande précise auprès de la direction.
Nous quittons cet immense couloir par un quai de déchargement et arrivons directement dans une salle encore plus immense.
C’est la réplique de la salle Apollon de l’Acropolis, aux mêmes mesures ; sur les murs, il y a un revêtement pour le son bien sur mais aussi pour la poussière. Cet après-midi, il y a des musiciens qui répètent pour C’est pas Classique justement.
Ici, ils montent les décors et c’est ici que se passent toutes les répétitions pour les opéras. Après on démonte tout et on trimbale tout à l’opéra ou à l’Acropolis.
Je remarque que le plancher au sol comporte beaucoup de marquages et de lignes diverses. On se croirait dans une salle omnisports !
Qu’est-ce qui est aux même mesures : la salle elle-même ou bien les marques au sol qui représentent la scène ?
C’est l’ensemble du volume, avec la même hauteur sous plafond, la même acoustique et… la même clim qui est prévue pour ménager les voix, aspirer les poussières etc. Les marques au sol, c’est pour placer les bancs, c’est des repères pour un opéra, pour les décors ; mais bon, ce sont de vieilles marques, soit ils les enlèvent, soit ils les laissent là.
Y a-t-il parfois un public qui est invité à voir les répétitions ici ?
Généralement non, mais… ça s’est passé. Mais ce n’est pas nous qui décidons. Normalement, c’est interdit au public, la Diacosmie… C’est un bâtiment qui n’est pas d’utilité publique. Mais on a les enfants du Conservatoire, il faut savoir qu’ils viennent répéter ici aussi.
Par rapport à la Préfecture, on n’a pas tellement le droit de laisser rentrer… Sauf autorisation, avec le nom etc. qu’on demande longtemps à l’avance…
(Ah ! C’est pour cela qu’on m’a demandé de décliner mon identité complète !) Nous croisons une dame, notre guide la présente comme leur chorégraphe. Celle-ci rectifie en souriant : « Maître de ballet ! »
Nous arrivons dans le local où sont stockés les 7000 costumes. Là aussi, tout est classé par opéra.
Ceux là, c’est pour le ballet Casse-Noisette, à Noël ; donc elles ont déjà prévu, nettoyé, rangé, essayé, recousu…
Il n’est pas réservé le même sort qu’aux décors ? Les costumes sont conservés plus longtemps ?
Les costumes, tant qu’ils sont en bon état, bien sûr sont conservés. Ils sont faits quand même presque tous à la main ; et Casse-Noisette on l’avait déjà joué donc c’est des costumes qu’on a récupérés. Ils sont pour Casse-Noisette, mais s’il y a un autre ballet où l’on a besoin de ces costumes là, on les emprunte aussi.
On nous autorise à déambuler dans les allées, en prenant soin bien entendu de ne rien déplacer. Une dame travaille là. Elle m’explique qu’elles sont deux à s’occuper des ces 7000 costumes.
La conservation réclame d’intervenir sur les costumes ou bien suffit-il de les classer ?
Lorsque ça revient sur scène, on est obligées de faire un tri. Comme ça a été porté, après ça va chez un teinturier, et après nous passons les housses et on reclasse tout ; parce que tout ce qui est pendu est propre. Tout est nettoyé pour que ça ne moisisse pas : avec la transpiration, les vêtements moisissent.
Ces opéras sont joués ailleurs qu’à Nice, comment cela se passe-t-il ?
Lorsqu’on loue un opéra, on loue l’opéra complet, "clef en main". Costume, décors…
Et pour tout transporter ?
En camion. Enfin, lorsqu’ils sont partis en Israël, je suppose qu’ils ont tout mis dans l’avion…
Et le personnel vient aussi ?
Il y a au moins deux ou trois personnes ; il y a les tapissiers, les accessoiristes, ça dépend comment c’est négocié. Celui qui loue nous dit qu’il se débrouillera avec son équipe ou bien qu’il préfèrerait avoir nos couturières, ou au moins une "chef", qui supervise les essayages…
Et là, ces costumes sont mis à part ?
Ça, ce sont des costumes qu’on loue. Là aussi, il faut passer par une autorisation du directeur. Ils sont classés par époque.
Nous sommes autorisés à en décrocher quelques-uns et à faire des photos, du moment que nous remettons tout en place.
Puis nous allons juste à côté, là où sont stockés les meubles ; essentiellement des chaises, des fauteuils et des canapés, au moins une centaine.
Ensuite, nous arrivons dans le local des accessoires. On y trouve TOUT : des saucissons, des fruits, des amphores, de la vaisselle brisée (pour le bruitage : lorsque le public voit un couple se disputer, une seule assiette est réellement brisée à terre tandis que derrière, un accessoiriste déverse plusieurs paniers de débris) ; on trouve aussi des tonneaux, des glaives (en métal !), des vélos, des livres, des miroirs etc.
Ces accessoires sont rarement achetés. La plupart sont entièrement réalisés ici même, par des artisans manifestement très polyvalents.
Tous ces costumes, tous ces accessoires ne peuvent être vendus. La mairie n’a rien le droit de vendre. Généralement, si on peut prêter on prête, ça oui. On prête à des écoles, qui font des spectacles et qui veulent le costume du Père Noël — ou la chaise du Père Noël, ça nous est arrivé ; en face, l’école internationale vient nous chercher parfois des choses.
Nous arrivons au premier étage (c’est à dire 8 mètres plus haut) dans l’atelier de menuiserie. Beaucoup de place, diverses machines dont une pour l’évacuation des copeaux, qui atterrissent dans une benne située dans la grande allée du rez-de-chaussée, là où a commencé notre visite.
Nous arrivons ensuite dans un immense atelier (40 m. par 40 m.) où sont conçues et peintes les toiles qui servent aux décors. Ces très grandes toiles sont fixées au plancher par les tapissiers de la Diacosmie puis les artistes, équipés de longs pinceaux, peignent debout. Ils reproduisent la plupart du temps des œuvres de grands maîtres, par exemple Le Titien comme on peut le voir sur la photo.
Afin d’avoir une vue d’ensemble de leur travail, un escalier conduit à une passerelle qui surplombe toute la salle. Un pan entier de ce volume est composé d’une verrière qui permet un éclairage naturel efficace.
Le modèle, une gravure ou une illustration dans un livre, est repéré par un quadrillage. La toile l’est aussi. Les contours sont alors esquissés au fusain, puis vient l’application de la couleur. Une fois séchée, la toile reste au sol, recouverte d’une bâche en plastique, en attendant de servir au décor. Nous évoluons ainsi au milieu de ces grandes reproductions, certaines voilées, d’autres offertes aux regards, parfois inachevées.
C’est ici également que sont fabriqués certains décors, notamment en polystyrène expansé. D’énormes blocs de cette matière permettent d’y sculpter toutes sortes de volumes. Notre guide nous précise qu’ils possèdent une découpeuse guidée au laser et pilotée par un ordinateur.
La plupart des artistes qui travaillent dans ces différents ateliers ont fait les Beaux Arts. Notre hôtesse nous précise qu’ils accueillent régulièrement des stagiaires, soit des jeunes gens qui se destinent à une carrière d’art appliqué, soit des élèves des classes de 4è et de 3è qui exécutent là leur stage en entreprise.
Ces derniers ont alors la chance de voir en détail le fonctionnement de l’ensemble de la Diacosmie, le travail de chacun des artistes et, en fin de séjour, d’exécuter une œuvre sur toile qu’ils pourront conserver.
Il y a vraiment toutes sortes de matériaux et d’outils : lorsqu’une personne arrive tout droit d’une école d’art appliqué, est-elle capable de s’intégrer immédiatement ?
Normalement, lorsqu’ils sortent de l’école, ils savent travailler. Ils font déjà des stages durant leurs études. Ils commencent par ce qu’ils savent faire réellement…
Elle s’interrompt car, devant la quantité et la grosseur des "déchets" entassés ça et là, une dame demande si personne ne songe à récupérer cela pour d’autres travaux, et notamment les écoles.
Je sais qu’on pourrait donner ça aux écoles, mais ils ne viennent jamais dire « voilà, on voudrait récupérer du polystyrène ». C’est dommage car il y a beaucoup d’écoles qui sont à deux pas…
Ici, je peux donner la réponse à ce petit mystère : les règles de sécurité sont devenues de plus en plus contraignantes et la plupart des matériaux utilisés ici sont interdits dans les écoles. Il est donc vain pour un enseignant de venir dans cet atelier en espérant trouver quoi que ce soit d’utilisable.
Au fil des couloirs, entre autres salles, une entièrement dédiée aux perruques et postiches. Certaines sont fabriquées ou améliorées sur place.
Un autre atelier où une jeune femme s’occupe de refaire quelques fauteuils. Elle m’explique que ceux-ci ne font pas partie d’un décor mais sont destinés au public et servent bel et bien à s’asseoir dessus. Je dois reconnaître que dans ce lieu si particulier, on ne sait jamais ce qui est un simple décor et ce qui sert réellement.
Elle me confie aussi que sa formation de type « bac + 2 » lui permet de réaliser bien d’autres choses, mais pour un temps elle accepte de refaire le chemin à l’envers et d’effectuer des travaux accessibles par un C.A.P.
Nous pénétrons ensuite dans un atelier de confection de costumes. Ceux-ci sont exécutés à partir de patrons réalisés un étage plus bas. Plusieurs couturières professionnelles fabriquent ou bien retouchent tous les costumes nécessaires à un opéra, du ténor au simple figurant. Certaines d’entre elles, au fil du temps, ont finit par se spécialiser dans des techniques plus délicates, comme la teinture par exemple.
Mais c’est donc dans l’atelier situé juste au-dessous que sont définies les formes, les textures et les couleurs, en fonction des indications du décorateur.
Avant de nous y rendre, un détour dans une salle de répétition utilisée par les choristes. Cette salle bénéficie elle aussi d’un air « purifié ». Les solistes travaillent à part, dans des petites salles privées, ou bien directement dans la grande salle.
Arrivés dans l’atelier de création des costumes, « Madame Eugénie » nous montre un exemple de leurs tâches habituelles : après la première de Macbeth hier (350 costumes) ils doivent s’attaquer aux Contes d’Hoffmann pour le mois de janvier. D’après les maquettes qui leurs sont fournies par le décorateur (selon les opéras, celui-ci s’occupe des costumes ou des décors ou bien des deux à la fois) il va falloir trouver les textiles adaptés et modeler les costumes. Les mannequins de plastique qui leurs servent de support sont rembourrés en fonction des mensurations de chaque artiste, leur permettant de travailler le plus tôt possible en volume.
Parfois, les figurants sont habillés avec autant de soin que les autres artistes, augmentant d’autant le volume de travail.
Cette visite aura duré en réalité presque 2 heures. Cela en valait la peine et j’espère que cette expérience sera reconduite.
Avant de terminer cet article, je rappelle que des conférences, en accès libre et sans réservation, sont organisées à l’auditorium de la Bibliothèque Louis nucéra :
Mardi 02 décembre à 17h00 La Rondine
Vendredi 19 décembre à 18h00 ballet Casse-Noisette
Jeudi 15 janvier à 17h00 Les Contes d’Hoffmann
Mardi 17 février à 17h00 Il Barbiere di Siviglia
Mardi 17 mars à 17h00 Lakmé
Mardi 21 avril à 17h00 Orphée & Eurydice
Mercredi 13 mai à 18h00 ballet « Soirée mixte »
Mardi 19 juin à 17h00 Aïda
Mais aussi à l’Opéra de nice et présentées par Eve Ruggieri :
Samedi 10 janvier à 18h30 Les Contes d’Hoffmann
Samedi 14 mars à 18h30 Lakmé
Ensuite, la Cinémathèque de Nice propose 5 films ayant pour thème l’orchestre :
Le Chef d’Orchestre, d’Andrzej WAJDA ;
Couleurs d’Orchestre, de Claude-Marie TREILHOU ;
Répétition d’Orchestre, de Federico FELLINI ;
Vers la Joie, d’Ingmar BERGMAN ;
Quartetto Basileus, de Fabio CARPI.
Cinémathèque de Nice
3, esplanade Kennedy
04 92 04 06 66
http://www.cinematheque-nice.com/
Opéra de Nice
4 & 6, rue Saint-François-de-Paule
04 92 17 40 79
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15/12/2006
C'est Lorre
C’est la deuxième partie de cette interview consacrée à Emmanuelle LORRE.
Emmanuelle, qu’est-ce que cela fait de mettre en scène une personne qui a le statut de "célébrité", comme Numa SADOUL ; cela a-t-il représenté une barrière dans ton travail ? Quelle a été ton approche de la question ?
Emmanuelle : J’en ai fait complètement abstraction, et ce n’était plus du tout une barrière au moment où je l’ai mis en scène, dans la mesure où ça faisait déjà plusieurs années qu’on se connaissait lui et moi ; où je l’ai remplacé de temps en temps dans ses ateliers, où il m’avait lui mis en scène dans « les Bonnes » avant. Et c’est vrai que lorsque moi je l’ai mis en scène à la demande de Meyer COHEN – je les ai mis en scène tous les deux dans « Inconnu à cette Adresse », de Kressman Taylor – donc pour moi, c’était plus le personnage, le Numa SADOUL connu etc., c’était un ami. On a noué des liens d’amitié profonds, donc pour moi on travaillait entre amis, entre personnes habituées à travailler ensemble. C’était plus le Numa SADOUL public, en fait, déjà à ce moment là. Mais c’est vrai que lorsque je l’ai rencontré au début j’étais très impressionnée. Et ça passe vite, parce que c’est vraiment quelqu’un de simple, c’est quelqu’un qui est dans l’écoute, c’est quelqu’un qui est dans le partage, qui est dans l’accueil, c’est quelqu’un de vraiment humble ; et en tant que comédien il est encore plus humble, parce qu’il se sent plus débutant comédien que metteur en scène – parce qu’il a fait énormément de mises en scène d’opéras qui ont fait grand bruit… Ah oui, oui, il a fait des trucs pas possibles [ Notamment « Madame Butterfly » ; pour en lire un des nombreux commentaires, cliquez ICI ]. Là il a une certaine assurance, et cette assurance il ne l’a pas quand il est comédien. Donc au contraire quand tu le mets en scène il est presque plus fragile.
Si j’ai bien compris, chacun a mis en scène les autres, c’est "chacun son tour" en quelque sorte. D’une manière plus générale, est-ce que c’est facile de diriger ceux qui t’ont dirigée ? De mettre en scène un metteur en scène ?
Emmanuelle : Ça peut, ça peut poser des problèmes, mais en fait tout dépend des comédiens qui sont sur le plateau et de l’humilité qu’ils ont et de l’envie d’avancer ou pas. Mais là la question ne s’est pas posée, parce que, en l’occurrence, dans « Inconnu à cette Adresse » j’avais donc Meyer COHEN et Numa, et c’est vrai que tous les trois, d’ailleurs Meyer il le dit lui aussi, on s’est tous mis en scène les uns les autres, on a tous joué les uns avec les autres, on a fait toutes les combinaisons possibles, sauf je crois Meyer et moi dans une mise en scène de Numa SADOUL…
Il faudra le faire alors !
Emmanuelle : Il faudrait que ce soit le prochain volet. Donc on était quand même dans une espèce d’habitude de travail mutuel, commun… Donc ça non plus ça ne s’est pas posé. Alors c’est vrai qu’ils ont tous les deux un œil de metteur en scène et qu’en plus c’était dans le théâtre de Meyer, c’était la production de Meyer, c’est vrai qu’à deux trois reprises, moi je leur ai dit « Non mais oh ! D’accord, mais ce sont mes idées, après on voit… » ; mais ça c’est très très bien passé, parce qu’on a l’habitude de bosser ensemble.
Est-ce que c’est au Conservatoire, en 1988-1990, que tu as fait tes premières armes ? Pourquoi avoir choisit pour ta formation d’aller vers cette institution ?
Emmanuelle : Non, ça n’a pas été la première fois. En fait j’ai un grand-père qui était comédien, qui était au Cercle Molière, donc j’ai eu accès au virus théâtral très jeune, quand j’étais enfant, et j’ai toujours voulu faire ça. J’ai grandit dedans tu vois. Puis moi en plus j’ai passé quelque temps à vivre chez mes grands-parents, donc forcément… C’est vrai que lorsque j’avais cinq ans, je savais que je voulais être comédienne. Donc j’ai talonné, talonné, talonné ; jusqu’à ce que, lorsque j’ai eu onze ans, mon grand-père demande à m’inscrire aux cours du Cercle Molière. Alors ils ont réfléchi avant… Parce qu’à l’époque il n’y avait pas de cours de théâtre pour enfants ou pour ados, tu vois tout ce qu’on fait maintenant. C’est pas que je sois d’un âge canonique, mais c’est assez récent finalement. Parce que mine de rien, j’avais quand même onze ans il y a vingt-trois ans. Donc il n’y avait pas de cours comme ça. Donc j’étais la p’tite gamine au milieu de gens de tous les âges. Après, j’ai tenté le concours d’entrée au conservatoire…
Comment se passe un concours de Conservatoire ?
Emmanuelle : Écoute, moi celui du Conservatoire de Nice, j’ai pas eu le sentiment qu’il soit très dur. A l’époque, au concours d’entrée on présentait une scène. Moi j’avais présenté une scène que j’avais pas mal travaillé au Cercle Molière avant.
Tu as combien de temps pour préparer une scène ?
Emmanuelle : À cette époque là, c’était une scène au choix. Tu la choisis toi, donc tu arrives avec ta scène qui est déjà prête. Maintenant, je ne me souviens pas si c’était une scène classique ou une scène moderne qui était imposée. Moi ce que je sais c’est que j’avais choisi une scène extraite de « Ruy Blas », de Victor HUGO. Après, ça dépend : quand j’ai tenté le concours du Conservatoire de Paris, c’est pas pareil. Tu arrives en présentant deux scènes classiques, deux scènes modernes et c’est eux qui choisissent : passez moi ça et ça… Ça dépend des écoles, ça dépend des conservatoires. Je ne sais pas comment ça se passe maintenant au Conservatoire de Nice, je sais pas. Puis après j’ai été au Cours Simon.
Pourquoi ? Tu as sentis qu’il fallait un complément, que le Conservatoire ne suffisait pas ?
Emmanuelle : Non, ça ne me suffisait pas. Et puis bon, comme tout le monde j’avais envie de monter à Paris parce que… le paysage théâtral Niçois était quand même très différent à ce moment là.
C’est vrai que ça a évolué depuis…
Emmanuelle : Il y avait moins de compagnies, il y avait moins de lieux… Voilà, je me suis dit : pour en faire mon métier, je pars d’abord me former à Paris, et j’essaye de réussir à Paris. Moi j’étais comme tout le monde, j’avais des rêves de Conservatoire de Paris, j’avais des rêves de Comédie Française, en toute simplicité bien sûr ! Et puis j’ai fait des stages, et puis j’ai bossé sur Paris. Jusqu’au jour où j’ai décidé de revenir. C’est vrai qu’à chaque fois que je venais en vacance chez mes parents, je me rendais compte qu’il y avait des compagnies qui se montaient, qui continuaient à exister, qui se développaient, qu’il y avait des lieux qui se créaient et qui perduraient, et ça donnait envie.
C’est la fin de cette deuxième partie ; la troisième et dernière partie de l’interview très bientôt…
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