09/12/2006
Emmanuelle LORRE
C’est elle que nous accueillons aujourd’hui derrière le rideau. Comme souvent désormais, l’article paraîtra en deux ou trois parties.
Originaire de Nice, elle a 16 ans quand elle entre au Conservatoire National de Région de Nice, avant de monter à Paris au cours René Simon puis à l’école Tania BALACHOVA-Véra GREGH. Elle crée, avec Emmanuelle LASFARGUES, la compagnie « l’Épigramme » en 1996.
<Comédienne (« Femme à Découvert », d’Olivier GRÉBILLE ; « Trauma », de Stéphane GUÉRIN ; « Éloge de l’Absent », d’Israël HOROVITZ ; « Huis Clos », de Jean-Paul SARTRE ; « les Bonnes », de Jean GENET etc.) et auteur dramatique (« les Pépettes »), elle est aussi metteur en scène (« Andromaque », de Jean RARINE ; « les Bons Bourgeois », de René de Obaldia…)
Depuis 1996, elle est également professeur de théâtre pour adultes, enfants et adolescents. Particulièrement intéressée par le travail vocal, elle fait beaucoup de doublages, voix-off, audio-guidages, dramatiques radio… (Pour elle, un texte se travaille comme une partition musicale, le comédien en étant à la fois l’instrument et l’instrumentiste.)
En farfouillant un peu, j’ai pu remarquer que tu avais travaillé avec des compagnies diverses, dans différents types de spectacles ; mais parmi toutes les compagnies que tu as croisées, il y a la « Cie l’Épigramme ». Crée en 1996, cette structure m’a semblé pourtant plus discrète que d’autres. Dans quel but a été créée cette compagnie ?
Emmanuelle : Le but était d’en faire une compagnie professionnelle, donc d’avoir un numéro de licence, de produire un certain nombre de spectacles, et aussi de dispenser des cours ; et de pouvoir aussi monter des projets socioculturels notamment avec les jeunes des quartiers défavorisés. En fait il y a trois volets dans « l'Épigramme ». Donc il y a des activités qu’on a pu développer, d’autre qu’on n’a pas pu développer, qu’on développera certainement plus tard. J’ai monté cette compagnie avec Emmanuelle LASFARGUE, qui est ma grande copine et complice de toujours – parce qu’on était à l’école primaire ensemble, on était au conservatoire ensemble, on était au Cours Simon ensemble.
C’était presque une évidence que tu crées avec elle cette compagnie.
Emmanuelle : Voilà. En ce qui concerne les spectacles, on a décidé d’axer particulièrement sur la création essentiellement des auteurs contemporains. Ce qui ne nous empêche pas d’avoir un spectacle ″jeune public″ qu’on a produit il y a quelques années et de temps en temps monter une pièce du répertoire dont « les Bonnes », de GENET.
Mais parfois, indépendamment l’une de l’autre, vous êtes ailleurs, dans d’autres structures, d’autres spectacles, la compagnie continue de vivre quand même ?
Emmanuelle : La compagnie vie quand même. Emmanuelle LASFARGUE, elle, a une vie familiale beaucoup plus remplie que la mienne parce qu’elle a trois enfants, donc elle a une activité théâtrale un petit peu plus réduite en fait ; elle a quitté Nice pendant trois ans pour aller à Tours. Donc les activités de la compagnie ont été mises en sommeil à ce moment là. C’est pour ça que cette compagnie semble moins présente, et aussi parce que lorsqu’on tournait beaucoup, à l’époque de la création des « Pépettes », ou à l’époque des « Bonnes », ou quand on a fait « Marie l’Étoile Perdue » (le ″jeune public″), il y avait moins de choses sur Internet.
Donc vous étiez plus actives au début et il y a eu un ralentissement ces derniers temps.
Emmanuelle : Il y a eu une parenthèse, et depuis la saison dernière ça repart.
Vous êtes encrées sur les Alpes Maritimes ?
Emmanuelle : Oui ; mais avec « les Bonnes », on avait fait Avignon en 2001, on est parti après en tournée… à Sedan, on est parti ! Mais là on a repris de l’activité réellement au niveau des spectacles l’année dernière en septembre 2005 avec « Trauma ».
Justement, concernant Avignon, tu as renouvelé l’aventure avec « Heures Exquises sur la Banquise ». Est-ce que la compagnie « l’Heure Exquise » a été fondée pour ce projet là, ou bien s’agit-il d’une structure pérenne ?
Emmanuelle : Moi j’ai participé juste pour un projet de cette compagnie là, qui existe depuis plusieurs année, qui a été créée à Paris et qui maintenant est implantée ici. A la base ce sont des chanteurs lyriques et des musiciens qui ont envie de faire des spectacles qui mélangent le lyrique, le burlesque et le théâtre. Donc ils avaient besoin d’une comédienne pour « Heures Exquises sur la Banquise ».
Comment les as-tu rencontré ?
Emmanuelle : Je les ai rencontrés par Numa SADOUL [En 1975, alors tout jeune homme, Numa SADOUL réalisa la première grande interview accordée par HERGÉ, et connue de tous les Tintinophiles : « Tintin et moi, entretiens avec Hergé » NdR] Parce que « Heures Exquises sur la Banquise » est un spectacle qui a connu pas mal de péripéties, à un moment donné il a été mis en scène par Alain CLÉMENT et Numa SADOUL, et c’est vrai que j’ai beaucoup beaucoup travaillé avec Numa SADOUL : il m’a mis en scène, je l’ai mis en scène, on a joué ensemble et puis on va rejouer ensemble prochainement… et Numa m’a dit un jour « ils ont besoin d’une comédienne » donc moi j’ai postulé, j’ai auditionné et voilà.
Avignon, c’est une aussi une vitrine pour les professionnels, pour vendre leurs spectacles, pour monter des tournées ; on va rarement à ce festival en dilettante. Toi, comment as-tu vécu cela : était-ce un conte de fée, ou un simple travail de comédienne ?
Emmanuelle : C’était ni un conte de fée ni un travail qu’on accomplit comme ça. Sinon j’ai de la chance, c’est clair. Moi j’avais un très bon souvenir quand on avait fait Avignon avec les « Bonnes » en 2001, avec la Cie « l’Épigramme ». On s’était régalée, puis on avait bien vendu le spectacle en plus après donc on était contentes – on était même allé jouer jusqu’à Sedan !
Eh oui, Sedan !
Emmanuelle : C’est vrai que j’aurais aimé le refaire après, puis ça s’est pas présenté, car ça coûte extrêmement cher à une compagnie [le seul prix d’une salle peut grimper au delà de 30 000 €uros, auxquels il faut rajouter les défraiements de tous les membres de l’équipe plus la publicité NdR] ; et c’est vrai que lorsque « l’Heure Exquise » m’a proposé, j’ai été ravie. Parce que c’est toujours une expérience, parce qu’on joue tous les soirs pendant la durée du festival, dans la journée on "tracte", en plus il y a l’expérience humaine, la vie en communauté etc.
Donc ça n’arrête pas : la journée on essaye de faire la pub à fond, et le soir… on joue combien de fois ?
Emmanuelle : Ca dépend des spectacles, il y en a qui se jouent deux fois, d'autres un jour sur deux… Il y a des compagnies qui viennent avec plusieurs spectacles. Il n'y a pas de règle…
Combien de temps avez-vous préparé Avignon?
Emmanuelle : Ils avaient un spectacle déjà existant, qui avait été remanié une première fois, quand ils sont arrivés sur la Côte d’Azur ; et puis ils avaient décidé de le re-remanier, puisque le personnage que j’avais était au départ une pianiste qui jouait sur scène et qui était en même temps la chef de troupe, et ils avaient décidé de remplacer cette pianiste par une comédienne. Je suis arrivé au moment du deuxième remaniement.
Il y avait de la fébrilité en toi, ou bien étais-tu déjà habituée à faire ce travail ?
Emmanuelle : Il y avait de la fébrilité, il y avait une grande excitation, parce que le mélange du lyrique, du burlesque et du théâtre, ça me plaisait beaucoup. Je trouvais ça excitant, c’était vraiment l’occasion de faire des choses que j’avais pas forcément faites, de travailler avec des gens avec qui je n’avais pas l’habitude de travailler. De toute façon je suis toujours très curieuse de découvrir des choses. Donc c’était à la fois très excitant et en même temps je me disais comment je vais trouver ma place dans ce spectacle qui existe déjà et qui en même temps n’existe pas encore, enfin il y avait un peu d’appréhension mais ça a été un grand bonheur.
L’équipe était la même que celle qui avait participé à la première mouture ? Tu étais la seule "nouvelle" ?
Emmanuelle : Au départ, j’étais la seule personne arrivée en dernier, puis après, quand on a fait Avignon, il y avait le baryton qui lui avait un engagement dans une comédie musicale à Paris, donc il n’a fait que la moitié des dates ; donc ils ont rappelé le baryton avec lequel ils travaillaient à l’époque à Paris etc. mais qui ne connaissait ni moi ni la nouvelle mouture du spectacle, donc ça a été encore une redécouverte.
Nous arrivons à la fin de cette première partie. La prochaine fois, Emmanuelle LORRE nous racontera sa collaboration avec Numa SADOUL et nous parlera aussi son parcours.
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23/06/2006
Avignon
Si ce blog avait vu le jour deux mois plus tôt, j’aurais suggéré à ceux qui ne connaissent pas encore la magie d’Avignon d’y aller cet été. Mais les campings et les hôtels étant très vite bondés, il était déjà trop tard pour en faire la réclame. Toutefois, évoquant les « Bonimenteurs » lors de leur passage aux Arènes de Cimiez, j’avais ajouté qu’ils feraient partie de la programmation « OFF » cette année. Puis mon esprit a vagabondé, il est retourné près de soixante ans en arrière…
LE FESTIVAL D’AVIGNON a été crée en 1947 par JEAN VILAR, acteur, metteur en scène et directeur de théâtre. Avant cela, celui-ci avait déjà tenté de populariser l’art dramatique, c’est à dire de le rendre accessible au plus grand nombre sans faire de concession sur les œuvres produites. Il avait déjà également en tête l’idée de rapprocher le public avec les comédiens. Mais les moyens lui avaient jusqu’alors manqué.
Dans ces années d’après-guerre, les festivals n’existent pratiquement pas, ou plus. Encore moins lorsqu’il s’agit de théâtre.
Jean Vilar lui-même ne se lancera dans l’aventure du Théâtre National Populaire (T.N.P.) qu’en 1951. Aussi, pour un grand comédien d’alors, il était suffisant de se concentrer sur Paris et de se moquer du reste. Ce qui semble aujourd’hui une institution était alors une RÉVOLUTION.
C’est donc en 1947 qu’on demande à JEAN VILAR d’aller en Avignon, dans le cadre d’une exposition de peinture, jouer une seule représentation de Meurtre dans la Cathédrale, de THOMAS STEARNS, dans la cour d’honneur du Palais des Papes. Dans un premier temps, il repoussa l’idée d’aller se produire dans un lieu aussi inhabituel pour l’époque. Puis il changea d’avis, mais aussi de projet : ce fut ainsi la Semaine d’Art en Avignon. Au début du mois de septembre, une expo., deux concerts et trois pièces de théâtre, jouées plusieurs fois.
Au total moins de 5000 entrées contre environs 400 000 rien que pour le « IN » et 700 000 pour le « OFF » aujourd’hui. Mais l’idée était née, et bien née (aujourd’hui, on dirait le « concept »). Et l’année suivante, cette semaine devint le 2ème Festival d’Avignon, replacé pour l’occasion au mois de juillet.
Dès les premières années, de grands noms comme GÉRARD PHILIPPE, MARIA CASARES, ALAIN CUNY, MICHEL BOUQUET, et aussi ROBERT HIRSCH, JEANNE MOREAU ou DANIEL SORANO participent à ce festival. Hormis l’interprète de Fanfan la Tulipe, ils n’étaient pas encore, pour la plupart, des monstres sacrés, mais de très jeunes comédiens.
Puis, remanié, recrée par Jean Vilar, le Théâtre National Populaire unira son destin à celui du festival, jusqu’en 1963. Avignon et T.N.P. relanceront la décentralisation du théâtre.
Car, en 1963, Jean Vilar abandonne la direction du T.N.P. (reprise par le comédien GEORGES WILSON) pour se recentrer sur le festival. Il « doit » inventer un autre Avignon. En effet, si le nom de la ville se confond avec son festival, c’est parce qu’il est devenu extrêmement populaire, trop. La légende est devenue une institution qui peut ressembler à une étape touristique.
Mais dès 1966, la transformation se fait d’elle-même : plusieurs lieux de représentation à la place de la seule Cour d’Honneur, plusieurs troupes (Théâtre de la Cité de Villeurbanne à égalité avec le T.N.P.) et plus seulement du théâtre. Car la danse investie les lieux avec MAURICE BÉJART et CAROLYN CARLSON. Et même le cinéma l’année suivante (JEAN-LUC GODARD) ! Puis en 1968, la contestation arrive de New-York avec le Living Theatre, de JULIAN BECK et JUDITH MALINA. 1969 voit l’arrivée d’ARIANE MNOUCHKINE. Il y a désormais le « IN », le festival « officiel », et le « OFF », qui déborde de toutes part des murs d’Avignon et accueille des troupes de tous horizons dans les lieux les plus hétéroclites (chapelles, hangars, carrières, rues, et même des théâtres !). Toutes ces manifestations s’écoulent désormais durant tout le mois de juillet. La transformation du festival est donc achevée lorsque décède son fondateur, le 28 mai 1971, à l’âge de 59 ans.
Depuis, même si Avignon ne représente plus le seul laboratoire de création théâtrale, il reste le plus grand festival de théâtre du monde. Sur deux critères au moins : le nombre de spectacles présentés et la fréquentation d’une part ; et la couverture médiatique d’autre part.
Car la plupart des compagnies théâtrales vont là-bas afin de montrer leurs spectacles aux nombreux professionnels en quête d’une programmation. Monter une pièce de théâtre à Avignon peut coûter cher, certains lieux pouvant se louer 10 000, 20 000 €uros, parfois plus. Sans compter toute la campagne de communication et les défraiements. Aussi, c’est souvent à perte que l’on se rend dans la Cité des Papes. Mais c’est pour beaucoup l’espoir d’un tremplin.
Enfin, si j’en juge par les conversations que j’ai pu entendre, se produire dans un tel festival est aussi le rêve de beaucoup d’artistes.
P.P.P. : Petite Parenthèse Pognon
Du point de vue du spectateur, IN ou OFF, aller ne serais-ce que 3 ou 4 jours à ce festival nécessite un minimum de finance : Trajet aller/retour essence + péage, hébergement (le camping de l’Île de la Barthelasse est très bien tenu et comporte même une piscine ; pour les hôtels, c’est plus cher !) repas (on est enclin à la fête, à Avignon…) et bien sûr location des places pour les quelques spectacles que vous aurez choisis.
Et comment aurez-vous choisi un spectacle parmi la myriade proposée ? La première semaine, il faut se fier aux critiques et à son flair. Mais très vite, il y a le fameux bouche-à-oreille qui se met à fonctionner.
Il y a aussi désormais les traditionnelles campagnes faites à travers la ville par les artistes eux-mêmes, et qui valent parfois leur pesant d’or. De véritables mini-spectacles, destinés à attiser l’envie du public d’aller rire ou pleurer ici plutôt que là. C’est en quelque sorte l’équivalent de la bande-annonce au cinéma.
Depuis, bien d’autres festivals de théâtre ont vu le jour, comme le Festival de Théâtre de Rue, à Aurillac. L’été, le spectacle vivant ne part pas en vacances, il les illumine.
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