09/10/2008
Épouvantable Rock’N’Roll
C’est épouvantable, pour la première fois dans l’histoire de ce blog, je vais faire une critique très dure sur une pièce. Je ne vais pas la tailler « en pièce », car ce n’est pas vraiment une pièce. Ce n’est pas un spectacle, ce n’est pas un concept, ce n’est même pas un embryon de quelque chose, un bruit, un gaz, rien…
Tant de moyens, tant d’idées, tant de bonne volonté sans doute. Tant de petites choses qui, au passage, étaient plutôt bien. Tout ça pour aboutir à rien.
Non pas quelque chose de contrariant ou de révolutionnaire ; pas non plus une comédie classique, ou même bourgeoise. Nous ne sommes même pas dans l’émission « au Théâtre ce Soir », nous sommes nulle part, nous perdons notre temps.
La Grande Cérémonie de la Communication Collective ne fonctionne pas, elle est usurpée.
Puisque j’ai fait ce blog afin d’intéresser les lecteurs au Spectacle Vivant, j’ai pour habitude de ne pas parler d’une pièce lorsque celle-ci, honnêtement, me semble mauvaise. Difficile d’encourager les gens à sortir de chez eux en écrivant : « ceci est mauvais, n’y allez pas ! ».
Plus précisément, il peut être intéressant de tenter de comprendre les défauts de tel spectacle, mais cela reste périlleux.
Mais ce mardi soir-là, au TNN, assistant à une représentation de « Rock’N’Roll », je me suis dis que trop c’était trop. Non aux escrocs !
Le manifeste de Tom STOPPARD, l’auteur, est très instructif, intéressant et plein de bonne volonté. Ressortir les propos de Vaclav HAVEL et de Milan KUNDERA est une bonne base de départ. L’histoire de la Tchécoslovaquie de 1968 à 1990 mérite qu’on s’y attarde, oui. Mais le problème est qu’il n’y a aucun rapport entre les intentions de l’auteur, les commentaires du metteur en scène et le résultat final. (D’ailleurs, une œuvre théâtrale ne devrait pas avoir besoin de notice explicative pour que le public puisse l’aborder.)
La débauche de moyens non justifiée semble montrer que le metteur en scène a surtout pensé à faire des « effets ». Il n’a même pas laissé sa fantaisie papillonner au-dessus des planches. Le but non avoué de Daniel BENOIN semble être de faire passer sa mise en scène à la postérité, géniale création d’un esprit éclairé, grand comprenant de l’art dramatique.
[Le magasine « JV », encart de NICE-MATIN du mercredi consacré aux sorties, indique que la mise en scène est de Jacques BELLAY. C’est une erreur, il s’agit bien de Daniel BENOIN.]
Que va-t-on dire de moi si j’écris ici que les grandes scènes nationales subventionnées sont des gouffres financiers ? Ceux qui me connaissent savent bien que peu me chaut le prix d’une création. Mais à condition qu’elle soit HONNÊTE. Hors, dans « Rock’N’Roll », la succession de décors, effets, maquettes, la démonstration de force de la grande machinerie théâtrale ne sert pas la pièce, elle la disperse.
Pour le prix de cette mise en scène, plusieurs compagnies pourraient vivre et créer davantage. Comment voulez-vous alors qu’on fasse accepter l’idée que la Culture doit être subventionné sans compter (ce en quoi je crois) avec de si mauvais exemples sous les yeux.
Comprenez donc bien : je ne suis pas jaloux des grandes structures, au contraire, je me réjouis qu’il existe sur notre territoire des scènes avec grande hauteur sous plafond, machineries en sous-sol, régie performante et surtout personnel qualifié. Le grand spectacle a ses atouts et il faut en profiter. Mais lorsqu’il y a débauche de moyens sans motivation réelle, le public, novice ou connaisseur, se rend bien compte qu’on essaie de le gruger. Des moyens si coûteux pour quelque chose de gratuit, voilà ce qui n’allait pas.
Mieux aurait valut ne garder qu’un seul des dispositifs et alors l’exploiter à fond, jouer avec, créer, l’intégrer parfaitement. On apprend vite, dans les cours de théâtre, qu’il ne faut pas se raccrocher aux accessoires et au décor pour masquer sa peur ou son manque d’inspiration, mais en revanche, tout ce qui peut traîner sur une scène est bon pour stimuler votre imagination.
La pluie par exemple — oui, dans cette pièce aux décors aussi multiples que changeants, il pleut sur scène. Pourquoi ne pas profiter du fait qu’au TNN, on peut faire pleuvoir et demander aux comédiens de jouer avec cela ? Que de choses on aurait pu imaginer en laissant faire l’imagination de chacun. C’est une aubaine pour un acteur que d’avoir un "accessoire" pareil !
Ah oui, les comédiens, il faut en parler aussi.
Il y a 5 musiciens et 11 comédiens. Sur ces 11 artistes, seulement 2 tirent vraiment leur épingle du jeu : Maruschka DETMERS et Pierre VANECK. Ce sont également les moins jeunes de la troupe. Je dis cela car Michel BOUQUET rappelait que, si c’est possible, on préfère confier les rôles de jeunes premiers à des comédiens d’âge mûr, afin qu’ils puissent compenser la fadeur du personnage par leur grande présence, par leur expérience de la scène.
Mais ici, malheureusement, les autres rôles n’ont pu être sauvés du naufrage. Même Frédéric de GOLDFIEM n’arrive pas à faire exister son personnage. Lui qui pourtant a montré à plusieurs reprises l’étendue de son registre et sa capacité à créer, tant comme comédien que comme metteur en scène. Je ne comprends plus.
Déjà, sur le papier aussi les personnages ont du mal à exister, à se différencier les uns des autres ; à justifier leur présence. Parfois, on se demande pourquoi ils disent telle ou telle réplique, pourquoi telle scène existe, à quoi sert-elle. Ainsi, la plupart des protagonistes ne sont pas crédibles ; ils nous gênent, non pas parce qu’ils nous dérangent mais parce qu’ils nous ennuient, semblent être de trop. Ce spectacle dure 2h25 plus un entracte, mais on aurait pu en retrancher une heure sans rien compromettre.
Heureusement que Maruschka DETMERS est là pour redonner souffle à l’ensemble, car même Pierre VANECK fini par se laisser aller à une interprétation approximative. Par exemple, dans la 2ème partie, il est censé avoir vieilli et se déplace en claudiquant, avec une canne. Mais, de temps à autre, on le voit accélérer le pas puis, tout en marchant, parler en agitant les mains, et se passer ainsi de sa canne… (Parler en agitant systématiquement les mains est un comportement qu’on retrouve chez beaucoup de débutants. Avec l’expérience, ce défaut s’estompe, mais ne disparaît jamais complètement.)
J’avais pensé mettre comme titre à cet article : « Au Théâtre ce Soir », car à un moment donné, une scène entière est jouée de cette façon (« les décors sont de Roger HARTH et les costumes de Donald CARDWELL »…) d’une façon j’allais dire ringarde mais je préfère dire « calibrée » pour le public et les téléspectateurs de l’époque. Mais je me suis ravisé, nous n’étions pas au théâtre, ce mardi soir au TNN.
Un seul point positif : cette pièce rappelle qu’il y a longtemps, très longtemps, le Rock’N’Roll était le point de ralliement de la contestation ; mais… c’est de l’histoire ancienne, n’est-ce pas, Optic-2000 ? (prononcez : « OoooOOOptic deu-eu-mil »)
Petit détail amusant : cette pièce traite, entre autre, du totalitarisme. Hors, figurez-vous que TOUS les abonnés du Théâtre National de Nice sont OBLIGÉS d’aller voir ce spectacle. En effet, le système d’abonnement du TNN prévoit qu’il faut, lors de la réservation, choisir au moins un spectacle par « poste ». Les œuvres de la saison théâtrale sont réparties en 5 postes et il faut donc réserver au moins 5 spectacles.
Mais attention, le poste N°1 ne comporte qu’un seul spectacle ! Il n’y a pas le choix : si vous voulez vous abonner pour la saison 2008-2009, vous DEVEZ louer une place pour le spectacle « Rock’N’Roll », dont la mise ne scène est signée Daniel BENOIN, directeur du TNN.
Vaclav HAVEL, écrivain dissident emprisonné à 4 reprises, devint président de la République Thécoslovaque de 1989 à 1992
La grande salle Pierre Brasseur était très clairsemée ce soir-là. Un couple voisin, aussi mal logé que ma compagne et moi-même, a tenté de demander à l’ouvreuse s’il était possible de s’installer parmi les nombreux fauteuils restés vides du parterre.
L’employée de la "STASI" a répliqué fermement que c’était impossible. (Impensable voyons : laisser des spectateurs à 18 €uros occuper des places vides à 25 €uros, jamais ! Encore moins dans un théâtre, haut lieux de la rigueur et de la soumission !)
De plus, cramponnez-vous à votre clavier, les élèves qui s’inscrivent aux cours d’art dramatique dispensés par le TNN doivent OBLIGATOIREMENT être abonnés (et, donc, aller voir « Rock’N’Roll »…).
C’est épouvantable.
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19/10/2006
Pari réussi
Ambiance très « djeun’s » hier soir : plusieurs lycées avaient, sans se concerter, proposé aux élèves des classes de Première d’aller voir « la Cantatrice Chauve », d’Eugène IONESCO. Ces jeunes gens représentaient presque la moitié des 500 spectateurs présents ce mardi, influençant beaucoup l’atmosphère de la salle.
Atmosphère plutôt bonne, je dirai même réceptive, et ce dès les premières minutes du spectacle. Car je dois reconnaître, malgré mes réticences déjà énoncées ici au sujet de Daniel BENOIN, que j’ai beaucoup aimé sa mise en scène, et son parti pris. En effet, l’actuel directeur du TNN l’annonçait clairement dans le programme : « la langue développée et les situations exposées par IONESCO sont devenues un modèle pour notre monde contemporain où pseudo-langages, faux-sujets, oppositions factices et ennui profond sont les marques du fonctionnement de ceux qui ont le pouvoir aujourd’hui [ … ] Je crois que cette nouvelle version devrait "coller" à 2006 [ … ] sans que le texte ne crée la moindre gêne, la moindre dispersion, la moindre contrainte. Cette grâce n’est-elle pas la vertu des grands textes classiques ? »
Pari ambitieux, mais pari tenu. De fait, le plaisir est encore plus fort lorsqu’on a déjà lu la pièce car on se demande bien comment Daniel BENOIN va s’y prendre pour faire « coller » le texte à notre quotidien de 2006. C’est un mécanisme que j’ai déjà évoqué ici : rendre le public complice, un peu, en soulevant une partie seulement du rideau. En lui faisant croire qu’il a déjà tout compris, alors que ce n’est qu’à la fin que le spectateur comprend réellement. Un challenge pour le metteur en scène. Donner du rythme à une partition qui n’a pas de mesure. Trouver, réplique après réplique, une situation qui rende le dialogue crédible pour une comédie de boulevard. Demander aux comédiens de jouer comme pour ce genre théâtral, mais avec un rien de décalage. Il y a donc de la parodie dans cette mise en scène, et la parodie est un art difficile, car on s’égare facilement vers les fausses bonnes idées. Grossièreté du trait, lieux communs, injustice de la caricature, rire facile. Ce ne fut pas le cas ici, et le portrait de notre société de non-communication était bien brossé.
Il n’y avait pourtant rien de révolutionnaire dans la mise en scène ou la scénographie – très soignée. Car enfin, même si chaque situation prêtait à rire, même si les trouvailles étaient bonnes, même si les personnages étaient bien dessinés, chacun des moments du spectacle n’étaient pas tellement nouveaux (il y en a même un qui m’a fait penser à un sketch des « Inconnus »). Oui, le véritable coup de massue, c’est de montrer l’adéquation de ce texte avec nos problèmes actuels.
Je dirais même qu’il y a là un phénomène de détournement. Loin de moi l’idée de vouloir montrer qu’ici l’œuvre d’Eugène IONESCO a été trahie, au contraire. Et généralement, lorsqu’un auteur dramatique confie (j’allais dire « abandonne ») sa pièce à un metteur en scène, il accorde à celui-ci la faculté d’en faire ce qu’il lui plaira. Il sait parfaitement que son travail d’auteur est terminé, et que commence celui de la mise en espace, de la mise en voix, de la mise en jeu… Ainsi, ce qu’on appelle dans le milieu du cinéma un « détournement » existe en réalité depuis fort longtemps. Molière lui-même détournait certains passages de ses confrères italiens ou français pour les intégrer dans ses propres œuvres, créant à son tours des pièces excellentes. (Et, au sujet du cinéma, vous pourrez venir en savourer quelques exemples lors des 8èmes Rencontres Cinéma et Vidéo, du 6 au 11 novembre au théâtre Trimage, à nice. Pour plus d’informations, cliquez ICI. Fin de la parenthèse)
On pourrait reprocher qu’une fois de plus, la grande machinerie théâtrale d’une structure comme le TNN ai pris le pas sur le jeu des comédiens. C’est faux, et je prétends que cette mise en scène pourrait facilement être transposée dans un petit théâtre d’une cinquantaine de place. C’est vrai qu’ici Daniel BENOIN en profite pour nous amuser et nous ravir avec cet appartement « high-tech » où les écrans géants et l’éclairage sont pilotés par une kyrielle de télécommandes. Mais ce n’est pas là l’essentiel du spectacle, et ce qui permet à ce texte insolite et absurde, écrit en 1950, de servir une critique de notre époque, c’est bien le jeu des comédiens.
Comédiens qui étaient très à l’aise dans ce genre d’exercice – à l’exception de Fanny Cottençon, qui m’a semblé être légèrement en dessous des autres, au point de vu de la voix notamment, et de l’énergie en général.
Comme je l’ai annoncé au début, beaucoup d’étudiants des classes de Première assistaient à cette représentation. Je n’ai pas résisté à l’envie de leur poser quelques questions et ils ont eu la gentillesse d’y répondre. Vous en aurez un compte-rendu très bientôt.
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