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06/05/2012

SUITE DE L’ÉTUDE

Je viens de terminer la lecture d’une étude commandée par la Direction Générale de la Création Artistique et dont j’avais commencé de parler dans un article du 13 avril (cliquez ICI pour le relire).

Après une analyse critique du mode de fonctionnement économique du Spectacle Vivant et de son développement historique — qui a tout de même eu l’immense avantage de permettre une croissance et une vitalité de ce secteur d’activité — la suite du document rappelle qu’un brassage croissant des logiques de marché et des logiques de service public, ainsi qu’une importance accrue d’un troisième secteur, d’initiative privée mais producteur de biens et de services à buts non lucratifs, rendent ce petit monde encore plus complexe.
Les compagnies théâtrales et chorégraphiques ont du mal à maîtriser la complexification des différentes phases, étroitement imbriquées, de leur filière d’activité.

De plus, les revenus issus des recettes propres ont une fâcheuse tendance à se concentrer davantage vers les établissements qui diffusent les spectacles plutôt que vers les compagnies qui les produisent et en assument les risques.
Enfin, les compagnies critiquent la tendance à une industrialisation de leurs rapports avec les établissements artistiques ou culturels, sous la forme d’une uniformisation des programmations et d’une marchandisation de la diffusion vers le public.

Ces lieux justement, qui sont-ils ? Les auteurs ont étudiés de façon précise ceux situés en région Francilienne (un tiers du Spectacle Vivant). Les chiffres sont clairs : 700 lieux non "labellisés" pour 50 seulement "labellisés" par le ministère de la Culture ; ces scènes nationales programment de 10 à 16 fois moins de spectacles que leurs consœurs aidées par les régions et les communes ; les lieux non labellisés ont attirés 5 à 8 fois plus de spectateurs.
Et pourtant, les spectacles qui y sont programmés le sont moins longtemps (la moyenne est de 2 jours à peine !) et une grande disparité existe entre eux : seuls 2,1 % des spectacles ont été programmés 10 fois et seuls 2,3 % ont été diffusés dans plus de 5 lieux différents. Ainsi, la concentration de la diffusion sur quelques spectacles seulement induit une très forte inégalité selon les œuvres proposées et les compagnies considérées.
Quoiqu’il en soit, ces lieux "territorialisés", aidés par les collectivités locales, occupent désormais une place stratégique tant pour la diffusion du Spectacle Vivant que pour l’action culturelle, l’accueil des compagnies et donc pour la production de spectacles.

Face à cette situation difficile, quelques solutions commencent à émerger.
● Par exemple, externaliser les tâches administratives : cela permet à la compagnie de se recentrer sur ses activités artistiques en partageant avec d’autres troupes des compétences spécialisées. La tarification des prestations devant être à la fois supportable pour la troupe et viable pour la structure administrative, ce qui n’est pas gagné…
● Pour tenter de sécuriser l’emploi dans les compagnies — afin de permettre leur développement dans un contexte de grande "flexibilité" — les aides publiques à l’emploi peuvent constituer une solution mais, à ce jour, les emplois artistiques et techniques restent structurellement dépendants de l’emploi intermittent. Les auteurs de l’étude plaident pour que ces aides soient « au moins adaptées et étendues aux directeurs artistiques, pivots essentiels mais très souvent en situation de grande fragilité économique ».
● Le mécénat, on l’aurait deviné, ne semble tourné que vers les compagnies et les structures à forte notoriété, et le plus souvent orientées vers des projets plus éducatifs et sociaux qu’artistiques.
● Enfin, les services ministériels ont élaboré 4 scénarii qui ne sont pas expliqués dans cette étude, mais dont les intitulés parlent d’eux-mêmes : l’« exception continuée », le « marché culturel », l’« impératif créatif » et la « culture d’identités ». Cette dernière possibilité s’appuie sur une segmentation de l’intervention publique entre un État modeste, qui aiderait les fleurons artistiques de la nation, et des collectivités territoriales qui soutiendraient un art plus éducatif et social. Pourquoi pas ? Mais quid de la République ? Je veux dire que je m’inquiète de la grande disparité qui existerait entre les différentes régions de France, dues aux différentes politiques menées par les différents élus. On me répondra que c’est déjà un peu le cas, mais justement, ne poussons pas du côté où l’on risque de tomber.

Daniel Urrutiaguer, Philippe Henry et Cyril Duchêne, les auteurs de l’étude, soulignent ensuite que les spectateurs ont tendance à concentrer leurs choix sur les spectacles ayant la plus forte notoriété, et que cela pose la question du soutien à de nouveaux types de mise en relation des personnes avec les œuvres, de leur "éducation" — mais aussi la question de l’instauration de relations plus symétriques entre professionnels et amateurs, c’est à dire leur participation aux différentes phases du processus (depuis la phase de recherche jusqu’à la diffusion ? cela n’est pas écrit.) et des modalités concrètes de cette coopération.

La rémunération du travail de transmission et de partage artistique et culturel entre artistes et non-professionnels (milieu scolaire, associatif…) comme revenu ordinaire des intermittents du spectacle est souhaitée par plusieurs sociologues et des artistes qui ont déjà développé leurs activités pédagogiques, tandis que d’autres artistes rejettent cette perspective afin de ne pas dénaturer, selon eux, leur mission de création.

Les auteurs soulignent ensuite « un défaut de responsabilisation des employeurs du spectacle vivant vis-à-vis de la prise en charge du déficit du régime d’assurance-chômage spécifique des intermittents par la solidarité interprofessionnelle, source de la désintégration du marché du travail artistique ». Manière neutre et polie de dire que certains gros producteurs font supporter le coût des congés payés par ce régime d’assurance chômage : au lieu d’employer des techniciens en CDI/CDD, on les emploie à plein temps, mais avec le statut des Intermittents du Spectacle…

Certains ont proposé une modification des subventions publiques, qui verrait les collectivités territoriales prendre entièrement à leur charge le financement des bâtiments culturels, tandis que l’intervention de l’État se recentrerait sur la « coopération artistique » : des structures d’une dizaine d’artistes salariés pour 3 ou 4 ans, réunis autour d’une personnalité artistique. Cela permettrait de relâcher la double pression concurrentielle du marché ET de l’aide publique. Pression conduisant à multiplier les créations et à limiter les temps de recherche artistique des compagnies.

Enfin, d’autres propositions visent à mieux redistribuer les profits dus aux recettes, afin de rediriger la trop grande part dévolue aux diffuseurs de spectacles vers les compagnies. Cela passerait notamment par une taxe sur la billetterie. Si des initiatives locales voire régionales existent déjà, l’extension de la taxe fiscale sur la billetterie des spectacles au secteur subventionné, suggérée lors des entretiens de Valois en 2009, a été repoussée notamment par les organismes de gestion mutualisée du secteur privé (on peut les comprendre, surtout que de fortes disparités sur le foncier existent d’une région à l’autre : l’emplacement n’a pas le même prix sur la Côte d’Azur qu’en Bretagne).

Mutualiser les risques et les ressources n’est pas une chose si évidente que ça. Le Spectacle Vivant est, je le répète, un univers complexe. Complexe et surtout très morcelé, sans une vision d’ensemble qui inciterait à plus de coopération entre les différents acteurs de la filière.
Cette étude n’apporte pas de révélation extraordinaire, mais elle a l’avantage de mettre des chiffres concrets, précis et significatifs sur des problèmes que beaucoup ressentent confusément. Espérons que cette pierre contribuera à l’édifice d’un meilleur réseau.

Commentaires

Une etude exemplaire qui nourrie des perspectives, facile à lire, très complète.
Dans la même verve, je te recommande vivement la lecture des entretiens de Vallois.

Écrit par : kocaoglu | 07/05/2012

C'est une idée, en effet. Ce rapport a l'air assez structuré mais... il fait 334 pages !
Je vais m'y mettre mais je vais prendre mon temps.

Écrit par : L U C | 07/05/2012

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