29/10/2006
Vieux débat
Ca s’est passé aujourd’hui, près de chez vous… « IL » est réapparu ! Qui ça « IL » ?
Le vieux débat sur le strict respect du texte. C’est à dire, savoir si oui ou non un comédien doit dire exactement tous les mots écrits par l’auteur, et eux seuls, ou bien s’il a le droit, dans certains cas précis ou lorsqu’il le ressent, de changer les dialogues.
Car, quoique certains s’en défendent, à chaque fois c’est pareil : dans un spectacle, lors des répétitions, vient le moment où cette question est posée. Et pour la troupe avec laquelle je répète, c’était aujourd’hui. D’autres fois, la discussion est à peine effleurée, mais là, nous avons bien perdu 20 minutes (sur 2 heures de répétition !) à débattre du sujet.
Pour les uns, il s’agit d’expliquer que respecter rigoureusement le texte ne signifie pas manquer d’imagination, ni être psycho-rigide. Lorsque l’auteur est bon, on s’aperçoit que ses mots, s’ils ne sont pas les nôtres, sont bien ceux du personnage. Ils nous aident à mieux être celui que nous ne sommes pas dans la vie réelle. Bien sûr, au début, lors de la phase de mémorisation des dialogues, il est parfois difficile de se faire à certaines tournures, à certains mots, et la tentation est alors grande d’opérer des modifications. Le style de l’auteur aussi a son importance, il contribue au ton de la pièce. Les mots employés à la place des autres, s’ils sont plus spontanés, risquent d’être plus maladroits. Enfin, plus prosaïquement, il y a les fameux « TOPS », ces groupes de mots qui appartiennent à la réplique d’un partenaire, mais qu’on apprend par cœur comme son propre texte, afin de nous préparer à reprendre la parole. Il y a même parfois des « pré-tops » et même des « pré-pré-tops », lorsque l’on reste une longue scène sans parler. Par exemple, dans la comédie que nous répétons, je reste dans les coulisses pendant une longue scène. Mon pré-pré-top est la gifle que se reçoit un des protagonistes – à ce moment là, je dois me réveiller, ou bien quitter les toilettes ou encore cesser de lorgner à travers le rideau. Puis mon pré-top est lorsque ce même personnage dit que la scène qu’il joue n’est pas un pugilat – là, je dois vraiment me concentrer. Enfin, mon top est « Encore heureux qu’il l’ai reconnu, ce grand imbécile ! » - je rentre sur scène. Ces tops fourmillent dans une comédie souvent privée de monologue, aussi est-il risqué de changer trop de choses.
Les autres pensent que le plus important lorsqu’on joue, c’est l’intention. Il faut être vrai, c’est à dire qu’il faut ÊTRE tout court. Et pour arriver à cela, tout est permis, même de changer une phrase pour une autre. Si le comédien qui joue une situation est vraiment à ce qu’il fait, il peut lui venir, sur le moment, un mot à lui, qui semble coller à la perfection au personnage. D’autre part, beaucoup de pièces sont des traductions d’auteurs étrangers. Le style original est déjà moins présent (traduire une œuvre est une chose difficile). Enfin, lorsqu’on est habitué à jouer avec des comédiens qui « changent » les mots, on finit par s’adapter.
Pour ma part, j’aurais tendance à me ranger dans la première catégorie. Je crois que malmener les écrits d’un auteur dramatique, c’est se débarrasser d’un effort qui fait pourtant partie du quotidien de la scène. Ce n’est qu’un pli à prendre et qui n’empêche pas d’être créatif.
Je sais que beaucoup d’artistes de scènes ne sont pas de cet avis. J’ignore quelles sont les proportions, mais chacun des deux camps compte beaucoup de partisans.
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Commentaires
Un texte, quelle que soit sa qualité et sa hauteur est daté et vieillit. L'interprétation, voire l'adaptation peuvent peut-être lui permettre de rester actuel... S'ils sont de qualité, s'ils sont "adaptés"... Ce qui ne peut être constaté qu'après coup.
Ceci dit, de la même manière qu'on redécouvre un charme à des musiques baroques jouées avec les instruments d'époque, il peut y avoir vraisemblablement des redécouvertes intéressantes avec des pièces respectant totalement les intentions de l'auteur.
Ne voyez là que l'avis de quelqu'un peu familier des subtilités du théatre.
Écrit par : Garibaldo | 30/10/2006
C’est un débat dans le débat : « les textes anciens gagnent-ils à être remaniés ? »
Pour ma part, je reste persuadé qu’un comédien de talent peut parfaitement faire passer tous les genres d’écritures pour vraissemblables, « vraissemblable » ne signifiant pas « contemporain » bien sûr.
Une preuve récente est l’adaptation de « La Cantatrice Chauve » par Daniel BENOIN, au T.N.N. Ce texte, complètement dénué de sens, absurde, trouve dans cette nouvelle mise en scène une signification précise, grâce au jeux des comédiens. (pour lire le compte rendu, voir la note du 19 octobre)
Merci à vous pour cette participation au débat.
Écrit par : L U C | 30/10/2006
Bonjour Luc,
je suis ici d'après les conseils de Christian.
Moi qui suis danseuse, je en me suis jamais réellement posé cette question du texte parce que je créé mon texte au fur et à mesure que je participe à la création d'une pièce (de danse). J'imagine qu'il peut y avoir un débat similaire dans le répertoire dansé.
Et comme spectatrice de théâtre, qu'est-ce que je préfère? Le texte original ou le texte modifié. A vrai dire je n'y ai jamais pensé, je vais y réfléchir. (objectif de ton blog atteint du premier coup, je m'interese au théâtre d'une nouvelle façon)
Écrit par : Elo | 02/11/2006
Il y a très très longtemps, cher L U C, j'ai publié un recueil de poèmes. L'un d'eux a été étudié dans une classe du lycée où était ma soeur.
La prof de français qui m'a fait cet honneur, a jugé bon de changé un mot du texte, un seul.
J'en ai été vraiment affecté. Orgueil de jeunesse ai-je d'abord pensé ! Puis, avec le temps, je m'aperçois que je suis vraiment dans "la première catégorie" : Respect du texte... à la lettre.
En revanche réécrire complètement en gardant l'histoire me convient parfaitement, avec des résultats pas toujours heureux, mais... (pour moi, l'Antigone d'Anouilh surpasse largement l'Antigone de Sophocle, alors que celle de Cocteau m'a semblée illisible)
Bon, donc, le texte, le texte et le texte !!!
Écrit par : Claudiogène | 02/11/2006
Cher Claudiogène, ce que tu nous dis me rappelle ces quelques vers du très célèbre « Cyrano de Bergerac » :
DE GUICHE
Il est des plus experts.
Il vous corrigera seulement quelques vers...
CYRANO (dont le visage s´est immédiatement rembruni)
Impossible, Monsieur ; mon sang se coagule
En pensant qu´on y peut changer une virgule.
En effet, la poésie, même si elle est parfois dite devant un public, diffère du théâtre : ici, ce sont les mots qui ont le premier rôle, et il est alors difficile de modifier le « casting ».
En tous cas, je ne pensais pas que cette note suciterait le moindre commentaire, car les premiers concernés (les comédiens et les metteurs en scènes) avaient été étonnés de mon intention d’écrire un article sur ce sujet. Puis certains se sont ravisés, et reconnaissent que cette question ressurgit souvent au détour d’une répétition.
Écrit par : L U C | 03/11/2006
Bonjour Luc,
En lisant ton article sur le Texte et le respect du mot à mot, je n'ai pu m'empêcher de faire une corélation avec le travail mené par la Cie Orphéon Théâtre Intérieur (dont je fais partie) lors d'une récente résidence à Chalon sur Saône. Cette résidence consistait à accueillir 5 comédien(ne)s et deux auteurs de Théâtre (Nathalie Papin et Sylvain Levey). Ces deux auteurs ont au préalable écrit 4 monologues chacun spécifiques à ce projet, nous étions là pour les mettre en bouche et les retravailler si besoin.
Il y avait des textes dont la qualité était flagrante et point besoin de les retoucher, d'autres qui méritaient réflexion sur une partie ou quelques mots : nous les avons retouchés. Certains étaient franchement hors contexte ou faible en rythme, ils ont été écartés et publiés par ailleurs.
Et puis des textes qu'on avait pas compris et il nous fallait l'éclairage de l'auteur.
La mise en bouche peut aider l'auteur à entendre son texte et l'explication de texte de l'auteur peut éviter bien des malentendus.
Ma conclusion (qui vaut ce qu'elle vaut) : L'auteur peut se tromper, mais l'acteur aussi !
Écrit par : Lisie | 10/11/2006
Merci pour ton commentaire, qui apporte sa pierre à notre édifice. Dans cet exemple, si j’ai bien compris, les deux auteurs avaient écrit leurs textes dans le but de travailler ensemble avec les comédiens. En quelque sorte, leur travail englobait par avance le « triturage » éventuel après écoute des acteurs. Est-ce une pratique courante ? Comment les deux écrivains ont-ils accueillis les remarques des comédiens ? Combien de temps a duré cette résidence ? A-t-il été prévu une suite à cet essai ?
Écrit par : L U C | 11/11/2006
Cher Luc,
Pour répondre à tes questions...
Les auteurs savaient qu'ils auraient à confronter leurs écrits avec la lecture à voix haute et la mise en espace, c'était une condition sine qua non pour participer au projet. Ils étaient prêts à défendre leurs textes et à écouter les commentaires des comédiens et des metteurs en scène. Cela s'est passé avec intelligence et de façon très naturelle. Cette résidence a duré 5 jours avec Nathalie Papin et 4 jours avec Sylvain Levey. Prochaine résidence avec Jean-Yves Picq et Michel Azama cette fois pour 15 jours.
Écrit par : Lisie | 12/11/2006
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