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10/11/2011

Tiré d’une histoire vraie

Vous l’avez sans doute déjà lu ici ou là, qui sur la couverture d’un roman à succès, au générique d’un film ou d’une série télévisée ; inclus dans la bande-annonce du prochain thriller à 50 000 000 de dollars et même en guise de présentation de certaines BD : « Tiré d’une histoire vraie », « D’après des faits authentiques », « Inspirée d’événements réels », vrai, réel, véridique… Comme si la qualité d’une œuvre dépendait de la réalité de l’histoire qu’elle raconte !

Je trouve cela terriblement dégradant. On tire le public vers le bas, on développe chez le lecteur ou le spectateur sa médiocre attirance pour le sensationnel, au détriment du sensible et du sensé.

Quel enfantillage nous pousse à trembler davantage pour une histoire vraie que pour une histoire forte ? Le public tourne son regard vers ce slogan racoleur de la même façon qu’il ralentit sa voiture pour mieux contempler l’accident qui vient de se produire. Ah là là, quel frisson !

« Tiré d’une histoire vraie » ! Non mais, imaginez un peu la couverture du Tartuffe de MOLIÈRE, affublé de cette publicité : « Jean-Baptiste Poquelin vous présente son dernier chef d’œuvre : Le Tartuffe, pièce en 5 actes inspirée de faits réel » !

Et Tintin ? Pourquoi pas Tintin tant qu’on y est ? « Tintin et Milou, d’après des personnages ayant existé » ! Et aussi : « Harry Potter, l’histoire vraie qui a inspiré la saga »… « Exclusif : Jean de LA FONTAINE nous confie quel est le vrai corbeau qui lui a inspiré sa célèbre fable » !

 

J’avais réussi à convaincre ma compagne d’aller voir Intouchables plutôt que la Couleur des Sentiments. Je n’ai pas été déçu. Excellent travail de la part de François CLUZET, comédien que j’ai toujours admiré (oups ! c’est vrai qu’on ne dit plus « admirer », il faut employer le verbe « respecter » ; « admirer », ça fait con-con désormais, alors qu’avec « respecter », on préserve sa virilité…) François CLUZET donc, porte le film d’un bout à l’autre, avec l’aide d’Omar SY.

Oh, je ne pense pas qu’il s’agisse là du plus grand film que j’aurai vu cette année, mais tout de même, jusqu’à la fin, entendez bien, jusqu’à la fin ce film m’a plu.

 

Et puis patatras : « Tiré d’une histoire vraie ».

 

Vite, j’essaye de ne pas gâcher mon plaisir à cause d’une si petite phrase, je feins de ne pas avoir vu, j’essaye de regarder ailleurs ; de toutes façon, le film est terminé, non ? Non. Le film n’est pas fini, il a fallu subir quelques secondes de trop, de simples phrases inscrites à l’écran et rappelant que les deux protagonistes ont réellement existé, et qu’ils vivent aujourd’hui ici et là, et qu’ils ont depuis accompli ceci et cela. Pire : nous avons eu droit à des images les montrant tous deux, côte à côte.

Eh oui, parce que c’est bien connu, une image c’est forcément vrai… enfin, en tout cas plus vrai qu’un simple texte, non ? Et si jamais un spectateur ne le croyait pas que tout ça est « tiré d’une histoire vraie », quel malheur pour le 7ème art ! Alors vite, on en remet une couche. Puisqu’on vous le dit que c’est arrivé : regardez les images, elles le prouvent.

 

slogan, cinéma, intouchables

 

Qu’est-ce qu’on en a à faire du talent de François CLUZET, d’Omar SY et de tous ces personnages secondaires qui mériteraient pourtant qu’on les admi… pardon, qu’on les respecte ? « Inspiré de personnages ayant réellement existé », c’est bien la seule chose qui compte, n’est-ce pas ? Et tant pis pour les choix esthétiques, les cadrages, le montage, la direction d’acteur, l’éclairage… tout ça n’est rien. Le scénario ? Les dialogues ? Laissez moi rire, cela ne compte pas face à cet argument massue : « d’après une histoire vraie ».

 

Je m’y engage solennellement aujourd’hui : je ne veux plus lire que des œuvres « inspirées de faits réels ». De toute mon existence, je ne veux plus entendre parler des tragédies antiques, encore moins de celles de CORNEILLE et de RACINE. Plus jamais je ne lirai le Songe d’une Nuit d’été de William SHAKESPEARE. Je tourne définitivement le dos aux Caprices de Mariane d’Alfred de MUSSET et refuserai obstinément de lire Ubu roi d’Alfred JARRY.

 

Et qu’on se le dise, cet article est lui-même inspiré de fait réels : celui d’un gars qui en a marre de ces slogans qui nous tirent vers le bas.

 

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En lien, un article du journal Rue-89 au sujet du film Intouchables ; cliquez ICI.