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23/07/2011

Barthes est bath

Dans son essai intitulé Mythologies, Roland BARTHES consacre quelques lignes à une réflexion sur le théâtre bourgeois. En voici un extrait fort intéressant :

« […] dans le théâtre bourgeois, l’acteur, "dévoré" par son personnage, doit paraître embrasé par un véritable incendie de passion. Il faut à tout prix "bouillir", c'est-à-dire à la fois brûler et se répandre ; d’où les formes humides de cette combustion. Dans une pièce […] les deux partenaires masculins se sont répandus en liquides de toutes sortes, pleurs, sueurs et salive. On avait l’impression d’assister à un travail physiologique effroyable, une torsion monstrueuse des tissus internes, comme si la passion était une grosse éponge mouillée pressée par la main implacable du dramaturge. On comprend bien l’intention de cette tempête viscérale : faire de la « psychologie » un phénomène quantitatif, obliger le rire ou la douleur à prendre des formes métriques simples, en sorte que la passion devienne elle aussi une marchandise comme les autres, un objet de commerce, insérée dans un système numérique d’échange : je donne mon argent au théâtre, en retour de quoi j’exige une passion bien visible, computable, presque ; et si l’acteur fait la mesure bien pleine, s’il sait faire travailler son corps devant moi sans tricher, si je ne puis douter de la peine qu’il se donne, alors je décrèterai l’acteur excellent, je lui témoignerai ma joie d’avoir placé mon argent dans un talent qui ne l’escamote pas, mais me le rend au centuple sous la forme de pleurs et de sueurs véritables. Le grand avantage de la combustion est d’ordre économique : mon argent de spectateur a enfin un rendement contrôlable. […] Je ne pense pas qu’aucun public bourgeois résiste à un « sacrifice » aussi évident, et je crois qu’un acteur qui sait pleurer ou transpirer sur scène est toujours certain de l’emporter : l’évidence de son labeur suspend de juger plus avant. »

 

roland barthes,bourgeois

 

Je me souviens de la première fois où, à un cour de théâtre que donnait l'excellent Henri LEGENDRE les lundis soir, j’avais réussi à pleurer sur scène. Je croyais être devenu un acteur complet, capable de tout jouer.
Plus tard, lors d’un travail avec Jacques FENOUILLET — toujours à Nice — celui-ci m’avait expliqué que pleurer ou rire n’est que le B. A. BA du comédien. Il l’expliquait à sa façon, en caricaturant un accent du sud : « tu pleures pour montrer au public que tu sais faire le théâtre… ».
Ceci étant dit, je pense nous avons tous du « bourgeois » en nous et il m’est arrivé plusieurs fois d’applaudir chaleureusement à de telles représentations, lesquelles ne sont pas totalement nulles tout de même. L’honnêteté consistant à ne pas présenter un spectacle pour autre chose que ce qu’il est.