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25/01/2012

En attendant des jours meilleurs

Dans un article paru le 10 juin 1862 dans l’Esprit Français, journal auquel collabora notamment le critique (et journaliste) Francisque SARCEY, Édouard CADOL écrit ceci :

 

« … On voit le roman et le théâtre s’avilir dans la vulgarité et le mauvais goût. Il semble que les écrivains ne travaillent que pour le monde des filles, pendant que, d’autre part, les artistes travaillent pour le bourgeois. On paraît n’avoir qu’une préoccupation : faire des choses de vente… »

 

Je dois constater qu’aujourd’hui encore les symptômes restent les mêmes. Dernier exemple en date — parmi de nombreux autres — que m’a confié mon ami ALFRED :

Il était en train de proposer sa pièce Le Coursier, que j’ai eu le plaisir de jouer avec lui en 2008, à des théâtres parisiens. La réponse fut unanime : pas assez d’allusions au sexe et, à ma grande surprise, trop intellectuel… notamment parce qu’il est fait allusion à TCHEKOV !

J’ai la fierté d’affirmer que ce Coursier fut un vrai succès, et la même honnêteté qu’ALFRED pour dire que c’était une comédie sans prétention, où le public riait beaucoup, parfois grâce à des subtilités de langage, parfois aussi à cause de bons gros gags.

En voici d’ailleurs un extrait, celui où il est justement question de ce fameux TCHEKOV :

 

 

PIERRE

(Enthousiaste, il entrecoupe ses phrases en embrassant Jean-Paul.) Je vous le dis ! C’est fabuleux !… Je n’ai rien lu d’aussi bon depuis des années !… C’est du Tchekhov ! Du Tchekhov ! C’est extraordinaire ! C’est… Je ne trouve pas les mots !

 

JEAN-PAUL

Tant mieux ! Je suis heureux ! Mais ne m'embrassez plus, la barbe, ça me rappelle ma mère !

 

PIERRE

Vous paraissez surpris, mais vous écrivez bien ! On ne s’ennuie pas, l’intrigue est bien menée… Non, franchement, c’est du bon. C’est du Tchekhov ! (Il tente d’embrasser Jean-Paul encore une fois mais celui-ci refuse.)

 

JEAN-PAUL

C’est du Tchekhov. Et Tchekhov…

 

PIERRE

C’est Tchekhov !

 

JEAN-PAUL

(D’un geste, désignant une grande affiche imaginaire.) En tout cas, ça sonne bien : « Tchekovvvfffff !!! »

 

PIERRE

(Il lorgne la tenue un peu "beauf" de Jean-Paul.) Vous ne connaissez pas Tchekhov ?

 

JEAN-PAUL

Tchekhov ? Si je ne connais pas Tchekhov ? Heu… il est comme Molière, il travaille dans le cinéma ?

 

PIERRE

(Ne voulant pas en rajouter.) Non, non, il travaillait dans le théâtre !

 

JEAN-PAUL

Il travaillait ? Il a quitté le théâtre ?

 

PIERRE

(Qui a ramassé le manuscrit resté sur le sol.) Non, il est mort !

 

JEAN-PAUL

(Consterné.) Tchekhov est mort ! Je le savais pas !

 

PIERRE

Ça vous fait quelque chose ? Vous ne le connaissiez pas !

 

JEAN-PAUL

Heu… d’abord, vous me comparez à quelqu'un qui est mort, c'est triste quand même…

 

Drôle ou pas, le lecteur aura constaté de lui-même qu’il ne s’agit pas là du passage le plus intello du répertoire français. C’est pourtant ce que lui ont affirmé les gens de théâtre de la capitale.

Un sex-toy sur l’affiche, ou bien un soutien-gorge ; un titre racoleur et de vieilles ficelles toujours répétées… voilà ce que cherchent les directeurs de théâtres aujourd’hui.

Nous revivons à peu près je le crois ce qu’il s’est passé la seconde moitié du XIXème siècle : uniformité, standardisation, nivellement par le bas de la programmation, notamment pour des raisons financières (essayez donc d’ouvrir une salle de théâtre pour voir).

Fort heureusement, cet épisode fut suivi d’un grand bouleversement dans l’ensemble du monde théâtral, et pas seulement à Paris. Espérons que le public de ce début du XXIème siècle saura se secouer et se risquera à aborder d'autres styles de spectacle.
Encore une fois, je ne crache pas sur un genre pour lequel j’ai moi-même travaillé, c’est simplement une question de proportion.

 

Et pour rester optimiste, laissez-moi vous proposer une comédie qui est bien écrite (Georges FEYDEAU), bien mise en scène (Henri MASINI) et bien jouée (Claudine Bellet, Ralf Schûtte, Rose Chartron, Céline Gouverneur, Fabrice Raymond, Antoine Latuyer, Alfred, Marc Chartron) :

 

On Purge Bébé

 

Tchekov, Alfred, standardisation

Mr Follavoine, fabricant de porcelaine rêve de décrocher le marché du siècle : fournir l'armée française en pots de chambres incassables.

Pour conclure cette affaire, il invite à dîner M. Chouilloux, représentant du Ministère des Armées. Malheureusement, leur soirée est perturbée par une succession d'incidents conjugaux cocasses, Mme Folavoine est contrariée et survoltée : Toto (bébé) refuse de se purger...

Cette pièce reflète l'évolution du vaudeville chez Georges FEYDEAU où la farce devient comédie de mœurs, peinture au vitriol du quotidien ennuyeux du couple bourgeois : leur médiocrité, leur mesquinerie et leur hypocrisie sont impitoyablement épinglées.

 

C’est au Théâtre de l’Atelier, 18 rue de la Barillerie à Nice (proche Cours Saleya).

Les jeudi, vendredi et samedi à 21h00

Tarif : 15 Euros — Réduit : 10 Euros

Réservations au 04 93 01 35 48

Commentaires

Mort aux cons ! mort aux cons !

Écrit par : kohnlili | 27/01/2012

Bonjour et merci pour votre commentaire très éloquent.
J'ai tenté d'aller visiter votre blog, mais malheureusement les caractères accentués et autres symboles ne s'affichent pas correctement. Y a-t-il un "truc" pour pouvoir le lire dans des conditions plus confortables ?

Écrit par : L U C | 27/01/2012

Les commentaires sont fermés.