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19/01/2011

De bonnes compagnies

J’ai récemment mis en lien, Colonne de Gauche, le site d’une compagnie que je viens de découvrir : la Cie les Mots en Scène.
Sa fondatrice, Christine BERNARD, m’a confirmé que l’intitulé n’est pas un hasard et que le texte tient une place essentielle dans leurs spectacles.

J’ai pu assister à l’un d’eux vendredi 14 dernier : Variations Énigmatiques, d’Éric-Emmanuel SCHMITT. C’était à Mougins, à la salle Courteline. La première photo au-dessous montre qu’il s’agit bien d’une salle « polyvalente », contrairement au Théâtre Georges Brassens de Saint-Laurent-du-Var, cité dans l’article précédent.

Précision importante, car il me semble que ce lieu n’était pas le meilleur endroit pour jouer un huis clos. Je ne devais pas être le seul à percevoir cet espace vide qui restait derrière moi (et qui d’ailleurs rendait l’éclairage délicat). On me répondra que c’est le travail de l’artiste que de s’adapter à la configuration des lieux ; oui, je ne dis pas le contraire, et c’est d’ailleurs ce qui a été fait. Toutefois, un simple coup d’œil vous montrera qu’il était impossible de pousser les murs et que les 20 mètres de vides attiraient chaque spectateur vers l’arrière, détournait son attention.
Fort heureusement, on oubliait peu à peu ce lieu plutôt impersonnel pour se focaliser sur la scène.

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Les comédiens ont finalement réussi à l’emporter. Il m’a semblé toutefois qu’ils ont été un peu lents à prendre possession de leur rôle.
Lorsque je suis venu aborder Christine BERNARD après le spectacle, j’ai entendu une personne lui dire que les comédiens ne ressentaient pas ce qu’ils disaient. Ce n’est pas exact : mon premier professeur de théâtre, Henri LEGENDRE, appelait ça être « prisonnier du texte ». Il avait employé cette formule lors d’une répétition des Enchaînés, d’Eugene O’NEILL, et je me souviens en effet qu’il s’agissait là aussi d’un texte très travaillé, très (trop ?) littéraire.
Attention, comprenez bien, je ne parle pas d’une difficulté à exprimer un sentiment, un état ou un caractère ; il s’agit d’une remarque globale : le langage écrit utilise ses codes, le langage oral les siens. Lorsqu’un texte dramatique devient trop littéraire, cela devient plus difficile de le jouer.
De ce point de vue, il y a moins de difficulté à jouer du RACINE que ce texte d’Éric-Emmanuel SCHMITT car, dans la vraie vie, personne ne s’exprime en alexandrin, et les vers de RACINE sont une convention vite assimilée par le public. Tandis que des répliques très structurées…
Je n’ai pas la solution à cela. Si je me retrouvais à devoir monter un tel spectacle, je serai bien embêté. Peut-être demanderais-je aux comédiens d’être les plus iconoclastes possibles pendant les répétitions, de tout massacrer puis de revenir enfin aux intentions de l’auteur.

Ainsi, c’est un choix risqué que de s’attaquer à ce genre de théâtre. Et je tiens à renouveler mes félicitations à toute la troupe. En effet, entre ne rien faire du tout et en faire trop, les pièges étaient nombreux. Les déplacements, l’occupation de l’espace… on voit bien que Christine BERNARD sait faire de la mise en scène. Je suis certain que dans un local plus approprié, ce spectacle sera bien meilleur.

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La Cie les Mots en Scène est une compagnie amateur, ce qui ne veut absolument pas dire qu’elle est moins bonne qu’une troupe professionnelle, cela signifie simplement que ses membres ne vivent pas de leur art, et qu’ils ont un autre métier qui les nourrit.
Cela a une incidence sur leur rythme de travail car les répétitions n’ont lieu qu’une fois par semaine, mais durant toute une année scolaire. C’est une cadence difficile, mais, comme beaucoup de comédiens, ils n’ont pas d’autre choix.

Christine BERNARD m’indique qu’ils ont longuement travaillé à la table (pour cela, il n’est pas nécessaire d’avoir une vraie table, simplement, on met son corps de côté, on n’essaie pas de jouer, on se contente de lire et de discuter). Ils ont ainsi tenté d'analyser les caractères de chaque personnage, avant de le mettre en mouvement. Et ce n'est qu'après deux ou trois représentations, après avoir buté sur l'impossibilité d'aller plus loin, qu’ils sont revenus aux improvisations, à une nouvelle analyse psychologique et à la relecture approfondie du texte… à la table.
Christine BERNARD me confiait que « cette méthode n'est certes pas classique, mais mon expérience m'a montré qu'il était difficile d'appréhender les moindres détails, tous les sous-entendus, d'un texte ardu avant d'avoir commencé à le jouer… tout comme il est difficile d'en indiquer toutes les ruptures si on ne le lit pas soi-même à haute voix. »
Tiens, lire à haute voix, même lorsqu’on est seul, c’est un conseil que m’avait donné Luce COLMANT lorsqu’on n’arrive pas à se faire une idée d’une pièce.

La fondatrice de la compagnie me précisait aussi que « une fois déterminés quelques chapitres, nous les avons, bien évidemment, travaillés les uns après les autres, parfois réplique par réplique, avant de filer l'ensemble. Nous avons ensuite travaillé pendant plusieurs semaines sur le texte intégral afin de lui conférer une progression convenable. Enfin, nous sommes revenus aux courts morceaux pour en affiner le rythme, l'intention, les ruptures, etc. »

C’est un travail qui valait la peine d’être fait. Il faut maintenant que le spectacle se rode et trouve des salles (des vraies !) pour l’accueillir.

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Avant de terminer cet article, je vous invite à aller sur Deezer (par exemple) pour écouter les Variations Énigmatiques, musicales cette fois-ci, d’Edward ELGAR (c’est son nom qu’il faut entrer dans la case [rechercher], et non pas celui de l’œuvre, sinon la recherche n’aboutit pas). Il s’agit de variations faites autour dune musique que l’on n’entend pas. Éric-Emmanuel SCHMITT a transposé cela et écrit une pièce qui tourne autour d'une femme qui n'est pas là.
Pour la petite histoire, lorsque j’ai parlé de Variations Énigmatiques à mon chef de chœur, pour avoir son avis sur la musique il m’a surtout expliqué que l’idée de base lui rappelait En attendant Godot ! Interrogée la-dessus, Christine BERNARD m’a répondu que s’il fallait une comparaison, elle choisirait plutôt l’Arlésienne.

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